L’année 2012 aura été, comme les  précédentes, riche en contentieux équestres. Il n’y a pas lieu de s’en étonner car le risque de mauvaise chute est élevé chez les cavaliers débutants qui maitrisent mal l’animal et spécialement  les touristes qui montent  à cheval pour le seul plaisir d’une randonnée.

L’obligation de sécurité de moyens à la charge des exploitants de centres équestres alimente ce contentieux dans la mesure où la réparation du dommage n’est pas automatique comme s’il s’agissait d’une obligation de résultat mais subordonnée à la preuve du comportement fautif de l’exploitant. L’appréciation de la faute est un exercice toujours délicat, propice aux débats et dont la solution n’est pas toujours évidente comme l’attestent de récentes espèces.

1-Deux cavalières chutent en effectuant une reprise de saut d’obstacle (CA Montpellier 29 février 2012 ; Cass. civ. 23 février 2012). Deux autres se blessent en chutant lors d’une randonnée (CA Nancy 9 janvier 2012  et CA Limoges, 5 avril 2012). Une quatrième a un doigt sectionné par un cheval « ayant tiré au renard » (CA Versailles 29 septembre 2011).

2-Dans toutes ces espèces, la victime s’est vue contrainte avec plus ou moins de succès d’établir la preuve d’un manquement de l’exploitant à son devoir de prudence. Le fait que l’accident soit imputable au comportement de l’animal n’affecte nullement l’exécution de cette obligation. « Il importe peu que la chute ait été due ou non au fait de l’animal » comme le relève à juste titre la cour de Montpellier. L’exploitant n’a pas à répondre du brusque écart effectué sans raison par une monture. En effet, le cheval est par nature un animal au comportement parfois imprévisible de sorte que ces réactions inexpliquées font  partie des risques prévisibles par les parties. Il ne peut donc être reproché au moniteur de ne pas avoir empêché un écart ou un emballement subit de l’animal [1] . En revanche, la victime a toujours la possibilité d’établir que l’animal qui lui a été fourni n’était pas adapté à son niveau, notamment qu’il était fougueux et nerveux alors qu’elle était débutante. Elle n’y est manifestement pas parvenue dans les affaires jugées par les cours de Montpellier  et de Limoges,  la première relevant « que le cheval qui lui avait été confié (…) était parfaitement adapté à son niveau », la seconde que la jument était une monture « de nature calme ». La cour de Nancy relève de son côté qu’on ne peut déduire la nervosité d’un animal du fait qu’il a eu une réaction de peur au passage d’une automobile roulant à vive allure et utilisant son avertisseur. Selon elle, « une telle réaction ne présente aucun caractère anormal en de telles circonstances ».

3-Certains comportements des chevaux sont bien connus des équitants, comme le fait de « tirer au renard » au moment où ils sont attachés. Le cavalier qui n’y prend pas garde alors que l’animal tire violement en arrière prend le risque d’avoir le doigt rompu comme le révèle la cour de Versailles. En l’occurrence, la dernière phalange de deux doigts de la main droite d’une jeune fille, qui avait été chargée de surveiller un cheval, a été coincée entre la longe et le lien et sectionnée. La victime reprochait à l’exploitant de ne pas lui avoir indiqué « selon quelle méthode il y avait lieu d’aborder l’animal et au besoin de le préparer et de l’attacher ».

S’il s’était agit d’une cavalière débutante, il est vraisemblable que ce moyen aurait été retenu. Mais les juges avaient deux raisons de le rejeter. D’abord, la victime avait été mise en garde par la propriétaire du cheval et une amie sur le fait qu’il « avait tendance à bouger » et qu’il « tirait au renard ». Ensuite, titulaire du galop 4 avec cinq années de pratique, elle avait forcément, selon les juges,  « une connaissance parfaite d’un cheval, de sa nature imprévisible et craintive, de ses réactions, des règles élémentaires de sécurité à respecter, des modalités des soins à apporter, de préparation de l’animal avant une séance, des manières d’attacher le cheval pour éviter qu’il puisse « tirer au renard » ».

4-Si le choix de l’animal n’est pas en cause, la victime va tenter de démontrer que la reprise ou la sortie a été mal organisée. L’appréciation du niveau du cavalier est, à cet égard, déterminante et  va permettre d’évaluer le degré d’intensité de l’obligation de moyens de l’exploitant. Celle-ci est d’autant plus étendue que les participants maitrisent mal leur monture. En revanche, elle est réduite au strict minimum si les cavaliers sont aguerris. Entre le débutant inexpérimenté et le cavalier entraîné, il y a toute la gamme des niveaux laissée à l’appréciation des juges. Ceux-ci vont, à chaque fois, vérifier si l’exercice proposé était en rapport avec la capacité du cavalier à l’effectuer. Ainsi, la cour de Montpellier relève que « jamais l’attitude de Mme C. , sa capacité à monter un cheval et surtout à avoir exécuté les exercices jusqu’alors proposés, n’ont permis à la monitrice dirigeant le cours de constater une quelconque inadéquation entre le niveau des exercices et celui de la cavalière ».

5-Lorsque l’accident est survenu lors d’une randonnée, il n’est pas rare que la victime reproche à l’exploitant une erreur d’appréciation dans le choix du parcours qu’elle  juge inadapté à ses capacités. En pratique, le juge tient habituellement compte du niveau du pratiquant pour effectuer cette évaluation. En toute logique, l’exigence de non-dangerosité du parcours doit être plus forte s’il s’agit de débutants et spécialement d’enfants. Mais tout est question d’appréciation. Ainsi la cour de Limoges considère qu’il n’y a pas eu d’erreur de choix du parcours s’il comprenait de faibles pentes ne présentant aucun risque particulier. Mais emprunter une route traversant un village n’expose-t-il pas les cavaliers au danger ? La cour de Nancy a estimé que cette circonstance, à elle seule, ne suffisait pas à établir que l’itinéraire choisi était dangereux bien que les cavaliers soient de jeunes enfants inexpérimentés. Cette position s’explique, sans doute, par le fait que les chevaux apparaissaient habitués à cet itinéraire et n’avaient donc pas de raison d’être effarouchés par le passage d’une automobile. Par ailleurs, il s’agissait d’une petite route de campagne vraisemblablement peu fréquentée et conduisant à une forêt. De surcroît, l’automobile circulait à une vitesse anormalement élevée et le conducteur avait utilisé son avertisseur.  Enfin, et c’est sans doute le motif déterminant,  l’animal était tenu par un personnel d’encadrement au moment du passage du véhicule.

6-La position du moniteur dans la colonne est un sujet sur lequel la jurisprudence est hésitante. Doit-il être à l’avant ou à l’arrière ou faut-il deux moniteurs aux deux extrémités de la colonne ? La Cour de cassation a estimé qu’en se trouvant en tête de la colonne le  moniteur  ne  pouvait  pas  se  rendre compte  du  comportement  anormal  des  chevaux et intervenir assez rapidement pour barrer la route d’un animal qui s’emballe [2].  Le Tribunal de grande instance de Quimper, au contraire, a estimé que la place normale du moniteur se trouvait en tête du groupe. Cette position lui permet, en effet, d’anticiper l’emballement toujours possible des chevaux en  contrôlant son groupe et la vitesse des chevaux [3]. La Cour d’appel de Rouen partage cette analyse et estime  « préférable que le moniteur soit en tête afin de régler la cadence » [4]. Celle de Limoges considère également « que le fait que la monitrice se soit trouvée en tête tandis que la victime fermait la marche (n’est pas) contraire aux règles de sécurité habituelles ». Elle estime que cette position est « préférable pour permettre au moniteur de régler la cadence ». Pourtant d’autres tribunaux ont jugé nécessaire la présence de deux moniteurs l’un à l’avant et l’autre en serre-file dès que la file de cavaliers dépasse quelques unités [5] .

7-La qualification du moniteur fait aussi partie des moyens habituellement soulevés par les victimes. C’est l’occasion de rappeler qu’un stagiaire en cours de formation pour la préparation à un diplôme est habilité à exercer contre rémunération les fonctions d’éducateur sportif [6]. Dès lors, le moyen tiré d’une prétendue absence de qualification de l’intéressée n’est pas recevable comme l’observe la Cour de cassation dans son arrêt du 23 février 2012.

Dans l’affaire jugée par la cour d’appel de Limoges, la victime faisait valoir que l’accompagnatrice n’était titulaire de ses diplômes que depuis peu. En soi l’argument n’a guère de poids. En effet, la délivrance d’un diplôme sportif laisse supposer que son titulaire a les compétences pour enseigner. De surcroît, en  supposant que le moniteur n’ait pas les qualifications requises, il faut encore établir que cette circonstance n’est pas la cause du dommage. Or tel n’est pas le cas, s’il est établi que l’accident est imputable à une autre circonstance comme l’écart imprévisible du cheval que n’aurait pas pu empêcher un cadre normalement qualifié.

8-Si elle n’exerce pas de contrôle sur les faits qui relèvent de l’appréciation souveraine des juges du fond, la Cour de cassation veille à ce que les tribunaux répondent à tous les moyens allégués par le requérant. Ainsi dans son arrêt du 23 février 2012, la Haute juridiction casse celui d’une cour d’appel à qui il est reproché de ne pas s’être expliquée  sur le fait, allégué par le pourvoi, d’absence de préparation du cheval au saut d’obstacles.

9-Lorsque la victime ne parvient pas à établir une faute d’organisation ou de surveillance de l’exploitant, elle n’a guère d’autre ressource pour être indemnisée que de compter sur une assurance individuelle accident. A la différence des  assurances en responsabilité civile qui couvrent les conséquences d’un dommage que l’assuré a provoqué, l’assurance de personne le garantit contre le dommage dont il est victime. Elle est particulièrement utile si l’auteur du dommage n’est pas jugé responsable ou s’il n’est pas identifié. Il est donc du plus grand intérêt pour les pratiquants de souscrire de telles garanties, d’autant que l’organisateur n’est pas assujetti à l’obligation d’en prendre pour leur compte, à la différence de l’obligation d’assurance en responsabilité civile. Voilà pourquoi le législateur a mis à la charge des associations et fédérations sportives l’obligation d’informer leurs licenciés « de l’intérêt que présente la souscription d’un contrat d’assurance de personnes » (art. L 321-4 C. sport). Cette obligation d’information a suscité une abondante jurisprudence sur son application et notamment sur les modalités d’administration de la preuve.  Ainsi, la Cour de cassation a estimé que la mention portée sur la licence selon laquelle « le titulaire déclare avoir pris connaissance … des conditions du contrat » ne satisfaisait pas aux exigences de la loi [7]. Elle a ensuite considéré que seule la remise par le souscripteur à l’assuré d’une notice résumant de manière très précise ses droits et obligations est de nature à faire la preuve de l’exécution par le souscripteur de son obligation d’information [8].

10- Or, dans l’espèce jugée par la cour d’appel de Versailles, le centre équestre paraît bien avoir remis un tel document à la mère de la victime puisque celle-ci a signé une attestation selon laquelle elle reconnait que le club a mis à sa disposition des propositions de garanties complémentaires en assurance individuelle accident. Par ailleurs, il fait également état des informations contenues dans la licence fédérale, mentionnant « clairement le détail des capitaux et primes correspondantes de l’assurance individuelle du cavalier, garanties de base souscrites au profit de Mademoiselle H. également les possibilités de souscriptions de garanties complémentaires avec les tarifs et garanties ». Enfin, l’attestation vise, outre la garantie individuelle de base de cavalier à laquelle elle a souscrit la possibilité, également, d’une garantie complémentaire option 1 ou 2 à laquelle elle n’a pas donné suite. Le centre équestre a donc bien rempli son devoir d’information comme le constatent les juges.

11-En revanche, la cour de Limoges,  relève qu’il n’a pas pris les mêmes précautions. La preuve n’est pas rapportée  qu’il « avait attiré l’attention de (la victime) sur l’intérêt d’être titulaire d’une assurance de personnes en vue de la couvrir des risques inhérents à l’activité qu’elle se proposait d’exercer ». C’est l’occasion de rappeler que la charge de la preuve de l’accomplissement du  devoir d’information est renversée. Ce n’est pas à la victime d’établir le manque d’information mais au titulaire de l’obligation de démontrer qu’il l’a exécutée. Or les juges constatent « que les attestations versées aux débats par le Centre équestre (…) ne permettent pas (…) d’affirmer qu’il existait, à la date de l’accident, un panneau d’affichage relayant cette information » de sorte « qu’il convient de considérer que le centre équestre a manqué à son obligation générale de conseil et d’information ».

12-S’il est un bon conseil à donner aux amateurs de sports équestres, s’est bien de souscrire une assurance individuelle accident pour se mettre à l’abri d’une mauvaise surprise. L’action en réparation subordonnée à la preuve d’une faute toujours aléatoire n’est pas la panacée, d’autant qu’avertis sur le risque d’un manque d’information à leurs adhérents sur l’assurance de personne, les clubs et fédérations sportives sont aujourd’hui beaucoup plus vigilants sur l’exécution de cette obligation !

 

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sports

En savoi plus :

Jean Pierre VIAL, « Le risque pénal dans le sport », préface du Professeur Rizzo de l’université d’Aix-Marseille, coll. « Lamy Axe Droit », novembre 2012 : commander en ligne

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Jean-Pierre Vial



Documents joints:

CA Montpellier 29 février 2012

Cass. civ. 23 février 2012
CA Nancy 9 janvier 2012
CA Limoges, 5 avril 2012
CA Versailles 29 septembre 2011

 



Notes:

[1] Paris, 10 décembre 1997, Juris Data n° 023982, 14 sept. 1993, Juris Data n° 022778 ; 26 juin 1995, Juris Data n°041670 ; 29 janv. 1991, Juris Data n° 041017. Aix en Provence, 23 mai 1996, Juris Data n°042643

[2] Civ. 1, 20 juill. 1988, pourvoi n° 86-19356. Dans le même sens, Rennes, 8 nov. 2006, Juris-Data n° 32556. « La présence du moniteur en queue de file aurait pu permettre d’éviter l’accident puisqu’il aurait pu prodiguer des conseils à la cavalière »

[3] TGI  Quimper, 12 nov. 1993, UDAF c/ Centre équestre de Kertreguier.

[4] Rouen, 6 mai 2004, Centre équestre de Soquence et Assur. Générale de France c/ Bosmans et CPAM de Rouen.

[5] En ce sens, Paris, 7 mai 1998, Juris-Data n° 022082) et Limoges, 2ème ch. 4 janv. 1989, LLoyd Continental et Kinet c/ Chevalier).

[6] Art. 212-1(2°) Co. sport

[7] Civ.1, 13 févr. 1996, Bull. civ. I, 1996, n° 84 p. 56.

[8] Civ. 1, 9 déc. 1997, Bull. civ. I, 1997, n° 356 p. 240.

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