Les trois arrêts rendus par les cours d’appel de Lyon (5 octobre 2017), Paris (2 novembre 2017) et Toulouse (3 novembre 2017), le premier sur le fondement d’une responsabilité délictuelle sans faute et les deux autres en application d’une responsabilité contractuelle pour faute révèlent une différence de traitement entre les victimes d’un même dommage – en l’occurrence une chute de cheval – sans qu’on puisse y trouver une justification quelconque.

1-Etre victime d’une chute à la suite de l’emballement de sa monture effrayée par un chien vaut mieux qu’être désarçonné en prenant une leçon d’équitation ! Dans le premier cas, le cavalier pourra assigner le propriétaire de l’animal sans avoir à établir une faute de surveillance de sa part, alors qu’il devra rapporter la preuve d’une faute de l’exploitant du centre équestre dans le second cas.  Responsabilité délictuelle de plein droit du gardien de l’animal, d’un côté, et responsabilité contractuelle pour faute en raison du manquement de l’exploitant à son obligation de sécurité de moyen, de l’autre. Voici de quoi donner raison à ceux qui militent pour la fusion de ces deux régimes de responsabilité en un seul chaque fois qu’il est question de dommage corporel.  L’avant projet de réforme du droit de la responsabilité civile devrait leur donner satisfaction puisqu’en« sortant le dommage corporel de la sphère contractuelle »[1]il  fera sauter le verrou de l’obligation de sécurité moyen et la responsabilité pour faute qui s’ensuit. Pour l’heure, les victimes continuent à subir les effets de la dualité des régimes responsabilité contractuel et délictuel et le principe du non-cumul qui en assure l’application, comme c’est le cas des décisions commentées ici.

2-Dans la première espèce (Lyon 5 octobre 2017), une cavalière est désarçonnée par sa monture qui s’est emballée à la vue de deux chiens  débouchant soudainement d’un talus.  Dans les deux autres espèces, des cavaliers, se retrouvent également à terre alors qu’ils prenaient une leçon d’équitation. L’ancien article 1385 du code civil, qui relève de la responsabilité délictuelle et qui est devenu l’article 1243 du code civil, s’applique à la cavalière dont la monture a été effrayée par les chiens. Transposant les dispositions applicables à la responsabilité du fait des choses aux dommages causés par des animaux, ce texte  confère à la victime le bénéfice d’une responsabilité de plein droit. Au contraire, les dispositions de l’ancien article 1147 (devenu l’article 1231-1 du code civil) qui s’appliquent à la responsabilité contractuelle mettent à la charge du créancier de l’obligation de sécurité – en l’occurrence les deux cavalières ayant chuté au cours d’une leçon d’équitation – la preuve d’une faute du débiteur. Dans le premier cas, la victime obtient réparation sans avoir eu à rapporter la preuve d’un comportement fautif des  gardiennes des deux chiens. En revanche, dans les deux autres espèces, les cavaliers sont déboutés pour ne pas voir établi la preuve d’une faute de l’exploitant du centre équestre.

Garde d’un animal et responsabilité de plein droit

3-La responsabilité du fait des dommages causés par des animaux, mise en œuvre dans l’arrêt rendu par la cour d’appel de Lyon, reprend les solutions rendues sous le visa de l’ancien article 1384 alinéa 1 qu’il s’agisse de la garde de l’animal ou de son rôle dans la survenance du dommage.

4-Le propriétaire de l’animal ou celui qui s’en sert est présumé responsable.Cette présomption de responsabilité dispense la victime d’établir un défaut de surveillance de l’animal. (Aussi, était-il inutile de faire allusion dans l’arrêt à l’obligation pour les propriétaires de chiens « de faire en sorte qu’ils n’effraient pas les animaux ou les personnes rencontrés sur la voie publique »). Elle est subordonnée à la preuve que l’animal a bien été la cause du dommage autrement dit qu’il y a participé activement. La présomption de responsabilité se double d’une présomption de causalité lorsqu’une chose mobile est entrée en contact avec le siège du dommage. Ce serait assurément  le cas si l’animal avait désarçonné sa cavalière après avoir été mordu par les deux chiens. Mais ceux-ci ne se sont pas approchés à moins de dix mètres des chevaux.  Aussi, en l’absence de tout contact entre l’animal et les blessures qu’il a provoqué la responsabilité du gardien ne devrait normalement être engagée que si la victime parvient à démontrer une anomalie dans le comportement de l’animal, par exemple son agressivité[2]. Aussi, les premiers juges ont-ils estimé que la seule présence des deux chiens, sans manifestation d’agressivité établie, n’était pas suffisante pour démontrer qu’ils avaient été l’instrument du dommage.

5-La cour d’appel considère, au contraire, qu’il n’est pas nécessaire d’établir un comportement inhabituel  ou une quelconque agressivité de leur part. Cette position, pour le moins très élastique de la causalité, n’est pas isolée.  Certaines cours d’appel se contentent de la seule présence de l’animal[3]. La Cour de cassation elle-même a admis (sur le terrain de la responsabilité contractuelle) que la réaction du cheval qui avait désarçonné sa cavalière en faisant un écart demeurait prévisible en raison de la seule présence d’un poney (Cass.civ.11 mai 1999, n° 97-16687). De même, pour la cour de Lyon le rôle actif des chiens dans la survenance du dommage est démontré soit parce que le cheval de la victime a été apeuré à leur vue, soit que cet animal s’est affolé sous l’effet de l’emballement du cheval qui le précédait.

Dans la première hypothèse, c’est l’effet de surprise créé par le surgissement soudain des deux chiens au sortir d’un coude et d’un talus en surplomb qui les dissimulaient à la vue des cavaliers  qui a provoqué l’emballement de l’animal monté par la victime. Dans la seconde hypothèse, c’est l’affolement de l’animal qui le précédait qui a joué un rôle actif en l’effrayant à son tour.

6-La présomption de responsabilité n’est pas irréfragable. Elle peut être combattue par la preuve d’une cause étrangère, la faute de la victime étant le moyen d’exonération habituellement soulevé par le gardien de l’animal. En l’occurrence, celle-ci n’a pas été établie. Le fait que la cavalière n’ait pas eu le niveau pour monter à cheval  ne pouvait lui être reproché car il ne s’agissait pas d’une débutante. Par ailleurs, l’arrêt relève que les chevaux étaient au pas et que l’intéressé portait un casque.  Toutefois s’agissant d’une cavalière confirmée (niveau galop 7) on peut se demander si elle n’aurait pas été en capacité de maitriser l’animal.

7-Les juges ont également estimé que les deux propriétaires ne pouvaient opposer l’acceptation des risques à la victime bien que celle-ci ait précédemment remarqué la présence des chiens dans l’impasse et que la directrice du poney-club ait indiqué que l’un d’eux avait déjà poursuivi les chevaux. Ce motif n’avait guère de chance d’être retenu ici si on considère que  l’article 1243 est le décalque de l’article 1242 alinéa 1 et que la Cour de cassation a abandonné l’exonération de responsabilité pour cause d’acceptation des risques successivement pour les sports de loisirs puis pour les compétitions sportives qui en formaient le dernier bastion [4]. Toutefois, la cour d’appel n’a pas eu besoin d’y faire référence dès lors qu’elle a estimé que le fait de s’engager dans l’impasse, alors que les cavaliers y avaient précédemment remarqué la présence des chiens, « ne constituait pas une prise de risque particulière,  sauf à imaginer que chacun devrait renoncer à toute promenade du seul fait de la présence de chiens pouvant avoir un comportement perturbateur ». On s’accordera, avec les juges pour estimer que les amateurs de randonnées équestres n’ont pas à subir le manque de civisme des propriétaires de chiens qui les laissent divaguer sans laisse sur la voie publique.

Leçons d’équitation et responsabilité pour faute

8-L’exploitant d’un centre équestre qui donne des leçons d’équitation contracte une obligation de sécurité dite « de moyens » en raison du rôle actif de ses élèves. A la différence de l’obligation de résultat qui crée une présomption de responsabilité sur le modèle de celle qui s’applique au gardien d’une chose ou d’un animal, l’obligation de sécurité de moyen impose à la victime de rapporter la preuve de son inexécution fautive.  A charge pour elle d’établir que l’organisateur sportif n’a pas assuré la sécurité de ses élèves.  A cet égard, la prise en considération du niveau de la victime comme l’atteste les arrêts rendus par les Cours de Paris et de Toulouse est un critère d’appréciation majeur (voir nos commentaires du 26/02/2015 et 21/07/2015). L’obligation de sécurité de l’encadrant est alourdie lorsque le participant est un débutant qui ne maitrise pas encore la discipline et apprécie mal les risques encourus. Dans ce cas, les tribunaux retiennent plus facilement sa faute au point qu’une faute légère peut suffire. En revanche, en présence de cavaliers confirmés, la responsabilité de l’exploitant suppose l’existence d’une faute caractérisée, comme l’observe la cour d’appel de Paris pour laquelle aucune faute de ce degré de gravité n’a pu être retenue contre la monitrice.  En effet, la victime, âgé de dix ans, n’était pas néophyte mais titulaire d’un Galop 4 et habitué aux compétitions. De même, dans l’autre espèce (Toulouse, 3 novembre 2017) la victime était également une cavalière expérimentée, titulaire du galop 6 sur une échelle qui en comporte 7.

9-Dans le cas d’élèves expérimentés, les juges effectuent un contrôle minimum consistant à vérifier, comme l’évoque la cour de Toulouse, que l’encadrement est qualifié et en nombre suffisant ; que chaque cavalier est doté de tout le matériel nécessaire à sa sécurité et que l’exercice est adapté au niveau du groupe et les montures à chaque participant.

10-La cour de Paris relève à cet égard que le jeune cavalier était équipé d’une bombe et que sa chute pourrait s’expliquer par une mauvaise position de l’intéressé. Le fait que la monitrice ne soit pas intervenue pour la corriger n’est pas considéré comme un défaut d’encadrement. Solution logique si on considère  que la victime, cavalier confirmé, ne nécessitait  pas d’attention soutenue de la part de l’encadrement. Par ailleurs, l’accident n’est pas survenu à l’occasion d’un exercice difficile puisque l’animal était au pas. Enfin, la mère ne rapporte pas la preuve de la dangerosité de la monture dès lors que celle-ci était habituellement employée pour des reprises de niveau Galop 1 ou 2.

11-De même, la cour de Toulouse relève que le moniteur titulaire d’un BPJEPS était qualifié pour encadrer l’activité. Par ailleurs, l’exercice correspondait au niveau des cavaliers présents et le fait que la leçon se soit déroulée sans étriers est sans incidence sur la chute dès lors qu’une telle monte est acquise pour un cavalier dès le Galop 4 aux trois allures. Enfin, l’habituel grief de  remise d’une monture inadaptée est démenti par les faits puisque celle-ci avait déjà été utilisée à plusieurs reprises par différents cavaliers et que l’instructeur n’a pas lui-même remarqué un trait de caractère ou une réaction particulière de l’animal qui aurait pu révéler  un caractère ombrageux.

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur honoraire Jeunesse et Sport, Docteur en droit

En savoir plus :
CA Lyon 5 octobre 2017 [responsabilité, 1385]
CA PARIS 2 NOV 2017 ACCIDENT PONEY
CA TOULOUSE 3 NOV 2017

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Jean-Pierre Vial



Documents joints:

CA Lyon 5 octobre 2017 [responsabilité, 1385]
CA PARIS 2 NOV 2017 ACCIDENT PONEY
CA TOULOUSE 3 NOV 2017



Notes:

[1]Le projet de réforme du droit de la responsabilité civile : maintenir, renforcer et enrichir les fonctions de la responsabilité civile. Mustapha Mekki.L’article 1233-1 de l’avant projet précise que« Les préjudices résultant d’un dommage corporel sont réparés sur le fondement des règles de la responsabilitéextracontractuelle, alors même qu’ils seraient causés à l’occasion de l’exécution du contrat ».

[2]Comme c’est le cas de chiens ayant pris en chasse   des personnes qui ont fait une chute en voulant leur échapper qu’il s’agisse de l’employé d’une société de télécommunications qui avait grimpé sur un poteau (Aix-en-Provence, 24 janv. 2007, Juris-Data, no 339 650), d’un cycliste (Montpellier, 28 mars 2007, Juris-Data, no 341 008  ou, hypothèse classique, du facteur à motocyclette ( Aix-en-Provence, 13 sept. 2007, Juris-Data, no 351 089).

[3]Aix-en-Provence, 14 févr. 2006, Juris-Data, no 310 167 ; automobiliste ayant perdu le contrôle de son véhicule en voulant un contourner le corps d’un chien sur une autoroute. Versailles, 27 avr. 2004, Juris-Data, no 255 625 ; cavalière désarçonnée par son poney effrayé par la simple présence d’un chien.

[4]Civ. 2e, 4 nov. 2010, n° 09-65.947 ; D. 2010. Actu. 2772, obs. Gallmeister ; D. 2011. 632, chron. Sommer, Leroy-Gissinger, Adida-Canac et Grignon Dumoulin  ; D. 2011. 690, chron. Mouly  ; D. 2011. 703, obs. Centre de droit et d’économie du sport , Université de Limoges ; RTD civ. 2011. 137, obs. Jourdain.

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