Avec le retour de la neige voici revenu le temps des accidents de ski et du contentieux de la responsabilité qu’il génère. Les victimes qui font le siège des tribunaux apprennent à cette occasion qu’il ne suffit pas, pour obtenir réparation, d’établir un manquement du moniteur à son obligation de sécurité, ou encore de rapporter la preuve de la faute  du skieur qui les a heurtées ou du rôle de ses skis dans la survenance du dommage. Elles découvrent que l’auteur du préjudice a la possibilité de s’exonérer de sa responsabilité s’il parvient à prouver qu’elles ont à leur tour commis une faute. Un surfeur imprudent, une enfant espiègle et une adolescente rebelle, ont ainsi perdu tout ou partie de l’indemnité de réparation à laquelle ils pouvaient prétendre, comme l’attestent les arrêts des cours d’appel de Grenoble,  Montpellier et Lyon.

1-Dans la 1ère espèce[1], une  adolescente de 17 ans s’était gravement blessée à la suite d’une chute à ski. En désaccord avec la décision  prise  par les moniteurs du groupe dont elle faisait partie de descendre une piste verte, elle s’était délibérément engagée seule sur une piste rouge et avait chuté alors qu’elle empruntait une traverse dans l’intention de  rattraper ses camarades. En appel, la responsabilité de la société exploitant la piste fut retenue pour avoir laissé ouverte la piste où s’était engagée la victime, alors qu’elle n’était pas complètement damée et ses abords insuffisamment enneigés. Toutefois, la cour de Montpellier décida d’un partage de responsabilité, après avoir relevé que la victime s’était engagée délibérément,  contre l’avis du groupe, sur une piste rouge qu’elle savait difficile et avait chuté par suite d’une vitesse excessive et d’un manque de contrôle.

2-Dans la seconde affaire, une collision en chaîne était survenue entre trois skieurs. Un surfeur qui descendait la piste en parallèle et à vive allure avec son camarade avait changé brutalement de direction pour l’éviter et s’était blessé en entrant en collision avec un autre skieur,  qui sous le choc avait, à son tour,  heurté et blessé un troisième skieur.

3-Le skieur indemne avait été jugé comme unique responsable du double accident de ski. D’une part, en qualité de gardien de ses skis  sur le fondement de la responsabilité du fait des choses. D’autre part, sur le fondement d’une responsabilité pour faute pour ne pas avoir respecté la priorité due au skieur aval alors qu’il se trouvait en amont du surfeur au moment de la collision. Au terme d’un marathon judiciaire la cour d’appel de Lyon[2] retint également la responsabilité du surfeur à qui elle reprocha d’avoir dévié brutalement sa trajectoire et réduit, en conséquence, de moitié son droit à indemnisation.

4-Dans la troisième espèce, une enfant de 8 ans qui skiait avec ses parents sur une piste rouge s’était assise juste après une cassure pour attendre son père. Surprise par la présence de l’enfant une skieuse, en tentant une manœuvre d’évitement, lui avait  écrasé un doigt de la main droite avec son ski avant de chuter. L’action en réparation de la victime fut rejetée en 1ère instance et le jugement confirmé par la cour d’appel de Grenoble[3]. S’il est admis que le dommage avait bien été provoqué par l’action des skis de la défenderesse, les juges considérèrent que la faute de la victime, présentant à son égard les caractères d’imprévisibilité et d’irrésistibilité de la force majeure, l’exonérait de toute responsabilité.

5-Si cette décision peut prêter à discussion, comparée à  la définition  très restrictive des conditions d’imprévisibilité et d’irrésistibilité de la force majeure  qu’en a donnée la Cour de cassation[4] (I), en revanche, le partage de responsabilité décidé dans les deux autres espèces paraît conforme à l’état de la jurisprudence dominante (II).

 

I- L’exonération totale de responsabilité

6-L’absence de faute de la skieuse entrée en collision avec l’enfant ne lui aurait permis de s’exonérer de sa responsabilité. Solution logique à son égard puisque la responsabilité du fait des choses  sur le fondement de laquelle avait été engagée l’action en réparation des parents est une responsabilité sans faute. Fondée sur une  présomption de responsabilité elle « ne peut être détruite que par la preuve d’un cas fortuit ou de force majeure ou d’une cause étrangère qui ne lui est pas imputable ».  Le gardien de la chose, en l’occurrence le skieur de ses skis,  est donc tenu de tous les risques engendrés par son activité. Sans doute, la jurisprudence a-t-elle admis, jusqu’à une époque récente, que l’acceptation des risques entre sportifs faisait échec à l’application de l’article 1384 alinéa 1. Mais, cette théorie circonscrite aux compétitions sportives[5] n’aurait pas pu être soulevée dans la présente espèce où il n’était question que de la pratique d’un sport de loisirs. Par ailleurs, même en supposant que l’accident soit survenu lors d’une épreuve de ski, l’acceptation des risques  n’aurait été d’aucun secours pour l’auteur de la collision  puisque la 2ème chambre civile a décidé qu’elle n’était plus opposable aux compétiteurs[6].

7-Pas plus que l’absence de faute, le rôle passif de la chose n’aurait été retenu par les juges si l’auteur de l’accident avait soulevé ce moyen.  Par le passé, pourtant, la jurisprudence présumait son rôle actif à charge pour la victime d’établir  le contraire[7]. Mais la Cour de cassation a transformé cette présomption simple en une présomption irréfragable et décidé que « le mouvement de la chose établissait irréfragablement son rôle actif[8]».

8-Dès lors, empêché d’établir l’absence de faute de sa part ou le rôle passif de ses skis, le gardien n’a plus, désormais, d’autre alternative que d’invoquer une cause étrangère pour s’exonérer de sa responsabilité.

 

La cause étrangère

9-Elle prend trois formes distinctes -la force majeure, le fait du tiers, le fait ou la faute de la victime- qui ne produisent d’effet exonératoire totale qu’à la condition de revêtir les caractères d’extériorité, d’irrésistibilité et d’imprévisibilité de l’événement à l’origine de l’accident. En l’occurrence, il s’agissait de savoir si le comportement fautif de l’enfant réunissait ces conditions. L’arrêt précise, à cet égard, que « l’exonération totale du gardien de la chose peut être retenue lorsque la faute inexcusable de la victime se révèle être la cause exclusive du dommage. Cette faute doit présenter pour le gardien les caractères d’imprévisibilité et d’irrésistibilité ». Littéralement, cette phrase se comprend comme subordonnant l’exonération totale  à la commission d’une faute à la fois inexcusable mais présentant aussi pour le gardien les caractères d’imprévisibilité et d’irrésistibilité de la force majeure.

10-On ne voit pas où est la logique à vouloir imposer ces deux conditions. En effet, si le comportement de la victime revêt les caractères de la force majeure, peu importe qu’il soit ou non fautif puisque la force majeure révèle l’absence de causalité entre le fait imputé au défendeur et le dommage et entraîne de ce fait une exonération totale de responsabilité. La Cour de cassation a d’ailleurs, admis par un arrêt du  17 décembre 1963[9], confirmé à plusieurs reprises, que le fait de la victime même non fautif exonère totalement le défendeur dès lors qu’il a été imprévisible et irrésistible pour lui. Il en irait autrement, lorsqu’on a voulu protéger la victime comme c’est le cas pour les accidents de la circulation où le conducteur ne peut pas lui opposer la force majeure mais seulement « sa faute inexcusable si elle a été la cause exclusive de l’accident »[10].

11-On pourrait donc  penser  qu’en ajoutant une condition supplémentaire à celle habituellement requise pour l’exonération totale de responsabilité, les juges ont cherché à neutraliser l’effet exonératoire de la force majeure. Mais l’action en réparation des parents ayant été rejetée, il faut admettre, au contraire, que  la faute de leur fille a été considérée non seulement comme imprévisible et irrésistible mais également inexcusable.

 

La faute inexcusable

12-L’expression  de faute inexcusable introduit par la loi du 9 avril 1998 relative aux accidents du travail a été reprise dans celui des accidents de la circulation. Elle n’est pas unique mais plurielle puisque sa définition varie selon qu’elle a été commise  par l’employeur, le salarié ou le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur.

13-On écartera d’emblée la faute inexcusable de la victime au sens ou l’entend la loi de 1985. En effet, ce texte ne permet pas aux conducteurs d’opposer leur faute inexcusable aux victimes non conductrices âgées de moins de 16 ans, sauf si elles ont volontairement cherché le dommage. En l’occurrence, la jeune fille n’était âgée que de huit ans et n’a jamais eu l’intention d’être heurtée par un skieur.

14-La faute inexcusable de l’employeur se caractérisait traditionnellement par sa particulière gravité et par la conscience du péril pour autrui que devait  en avoir son auteur.  Cette définition a été corrigée  à la suite du contentieux des victimes professionnelles de l’amiante et l’exigence d’exceptionnelle gravité de la faute écartée[11]. En revanche, la définition de la faute inexcusable du salarié demeure inchangée. Celui-ci  subit une réduction de sa rente  uniquement s’il a commis  une faute volontaire d’une exceptionnelle gravité l’exposant sans raison valable à un danger dont il aurait dû avoir conscience[12]. Cette définition semble plus adaptée à la situation de l’enfant qui est une victime comme le salarié. Mais, elle ne correspond pas aux circonstances de l’espèce.

15-Sans doute son imprudence a bien été volontaire puisqu’elle a voulu faire une blague à son père. Mais il est difficile d’assimiler cette espièglerie à une faute « d’une exceptionnelle gravité » d’autant qu’on peut difficilement exiger d’une enfant de cet âge d’avoir nécessairement conscience du danger auquel elle s’exposait. De toute évidence, la cour d’appel n’a pas retenu la méthode d’appréciation « in concreto » qui impliquait de prendre en considération l’âge de la victime dans l’évaluation de la connaissance du danger. Elle s’est inspirée de l’appréciation « in abstracto » qui consiste à raisonner comme l’aurait fait un homme raisonnable qui aurait eu parfaitement conscience du péril qu’il créait en se dissimulant derrière une cassure.

16-Par ailleurs, les juges affirment un peu hâtivement et sans preuve matérielle que la victime aurait dû connaître les règles générales de conduite de la Fédération Internationale de Ski[13] ou que ses parents les lui avaient nécessairement rappelées, puisqu’ils évoluaient ensemble sur une piste rouge.

17-En définitive, le comportement fautif de la jeune victime n’a atteint aucun des seuils de gravité  propre aux fautes inexcusables du salarié et de la victime d’un accident de la circulation. Dès lors si sa faute n’était pas inexcusable réunissait-elle au moins les conditions d’extériorité, d’imprévisibilité et d’irrésistibilité de la force majeure ?

 

L’extériorité

18-Une jurisprudence constante affirme que la cause étrangère exonérant le gardien d’une chose doit être extérieure à la chose qui a causé le dommage. Ainsi, le « vice interne » de la chose n’est pas de nature à l’exonérer de sorte  que la défenderesse n’aurait pas pu attribuer l’accident à une anomalie de ses skis[14] y compris si celle-ci  ne lui avait  pas été imputable[15]. Solution logique dans le cas d’un régime de responsabilité de plein droit car si on laisse le gardien démontrer que ses skis ont fonctionné normalement, cela  revient à dire qu’il n’a pas commis  de faute.  Par ailleurs, l’extériorité s’appliquant également au gardien, la skieuse n’aurait pas pu, non plus, se prévaloir d’une altération ponctuelle de ses facultés mentales ou d’un évanouissement pour échapper aux conséquences de sa responsabilité.

19-La faute de la victime constitue, en revanche, une cause extérieure à la chose. Toutefois, elle ne suffit pas, à elle seule, à exonérer totalement le gardien si son imprévisibilité et son irrésistibilité ne sont pas établies.

 

L’imprévisibilité

20-L’imprévisibilité consiste pour l’agent à ne pas avoir prévu l’événement. Cette condition a connu quelques vicissitudes. La jurisprudence s’est divisée entre deux courants. D’un côté, certaines décisions ont voulu faire l’économie de cette condition dans des circonstances où l’événement s’était avéré insurmontable bien que prévisible[16].  Dans la même logique, la force majeure a été écartée si toutes les précautions n’avaient  pas été prises pour lui résister. A l’opposé, d’autres arrêts ont refusé l’exonération, faute d’imprévisibilité, dans des cas où l’événement paraissait pourtant inévitable. Pour mettre fin à cette division l’Assemblée plénière a réaffirmé  par deux arrêts en date du 14 avril 2006 l’exigence cumulative des conditions d’irrésistibilité et d’imprévisibilité de la force majeure[17] .

21-Les tribunaux n’exigent pas une « imprévisibilité absolue » car cela reviendrait à rendre cette condition impossible à satisfaire puisque tout événement est en soi prévisible. L’imprévisibilité requise est donc seulement « l’absence de prévisibilité pour l’homme normal » ce qui revient à dire que l’absence de  prévision de l’événement ne doit  pas être imputable à une imprévoyance de sa part.

22-Si elle est évaluée selon l’appréciation « in abstracto » c’est-à-dire abstraction faite des circonstances internes d’ordres intellectuel et psychologique, en revanche, les tribunaux  font souvent référence aux circonstances externes (temps, lieu). En l’occurrence c’est la configuration des lieux qui a retenu l’attention des juges. A l’endroit de l’accident, la victime était invisible du fait qu’elle s’était dissimulée en s’asseyant derrière une cassure. Même normalement attentive et vigilante, la skieuse ne pouvait pas la voir et faire une manœuvre d’évitement suffisamment à l’avance pour l’éviter. Sans doute ce type d’évènement n’est pas imprévisible dans l’absolu puisque les  règles générales de conduite de la Fédération Internationale de Ski, dont  l’arrêt fait explicitement référence, énoncent clairement que les skieurs doivent éviter de stationner sur les pistes, notamment dans les passages sans visibilité. Si la fédération a jugé utile de donner cette consigne c’est bien la preuve tangible que ce danger n’est pas virtuel et qu’il y a eu des précédents. Néanmoins, si les usagers de la piste ne peuvent ignorer la présence toujours possible d’un skieur stationnant imprudemment  sur une piste, ce qui doit les inciter à modérer leur allure, en revanche, on ne peut pas raisonnablement leur imposer de s’arrêter avant chaque cassure pour s’assurer que personne n’y stationne sans rendre impossible la pratique du ski.

23-Si la skieuse ne pouvait  pas normalement prévoir la présence de l’enfant à cet endroit aurait-elle pu néanmoins l’éviter ? Si on peut admettre que l’événement était imprévisible, était-il également inévitable ? C’est l’exigence d’irrésistibilité qu’il faut maintenant examiner.

 

L’irrésistibilité

24-L’irrésistibilité revient à n’avoir pu empêcher l’événement de se produire. On dit qu’elle ôte toute liberté d’action à l’agent. « Il ne peut ni en empêcher la réalisation ni en éviter les effets dommageables »[18]. Aussi pour être considérée comme majeure, la force doit être d’une intensité supérieure à sa capacité de résistance. Il s’agit d’un obstacle que l’homme « malgré l’utilisation de toutes ses forces et ses ressources » ne peut conjurer. Par voie de conséquence, la difficulté à surmonter les effets d’une force contraignante n’est pas assimilable à la force majeure car, dans ce cas, il existe toujours un moyen d’en éviter les conséquences dommageables.

25-Pour apprécier si l’événement est bien incontournable et qu’il ne s’agit pas de difficultés surmontables, les tribunaux comparent le comportement de l’agent à l’homme prudent et avisé. Toutefois ce mode d’appréciation « in abstracto » est tempéré comme pour l’appréciation de l’imprévisibilité par la prise en compte des circonstances externes dans lesquelles il se trouvait placé.  C’est bien à ce type d’appréciation auquel se livre la cour d’appel de Grenoble pour mettre en évidence  le caractère inévitable de l’accident. Si on s’en rapporte aux circonstances de l’espèce, la défenderesse a entrepris une manœuvre d’évitement et a chuté après que son ski ait blessé un doigt de la main droite de la victime. La cour observe que cette manœuvre a été effectuée « avec célérité et de manière adaptée  pour empêcher l’accident et un choc violent » ce qui revient à dire qu’un skieur prudent et avisé placé dans la même situation que la défenderesse n’aurait pas fait mieux. Toutefois, on peut objecter qu’en raisonnant ainsi, les juges révèlent l’absence de faute du gardien dont il a déjà été dit qu’elle ne pouvait constituer une cause d’exonération dans les régimes de responsabilité de plein droit. Par ailleurs, le fait qu’elle ait pu tenter une manœuvre d’évitement sans succès ne suffit pas à établir que la collision était inévitable. Rien ne dit qu’un skieur chevronné n’aurait pas pu l’éviter. Il faut donc considérer que l’arrêt fait preuve d’une certaine mansuétude vis-à-vis du gardien. Si on admet avec la doctrine qu’en général « la Cour de cassation se montre réfractaire au constat du caractère imprévisible et irrésistible de la faute de la victime »[19], un partage de responsabilité aurait été plus en adéquation avec la rigueur de la Haute juridiction. 

 

Le partage de responsabilité

26-Dans les deux autres espèces, dont il est ici question, la faute de la victime ne répondait à aucun des critères d’imprévisibilité et d’irrésistibilité pour l’auteur du dommage. La chute de l’adolescente, qui s’était dissociée de son groupe pour emprunter une piste rouge, était raisonnablement prévisible, puisque l’exploitant avait laissé ouverte une piste non complètement damée dont les abords n’étaient pas suffisamment enneigés. Elle n’était pas insurmontable car la chute aurait pu être évitée si la piste avait été damée à l’endroit de l’accident. Même constat dans la seconde espèce. La position dominante du  skieur amont, qui doit la priorité au skieur aval, lui permet de prévoir un dépassement ou de choisir une trajectoire assurant la sécurité du skieur aval. Comme le fait justement remarquer la cour d’appel de Lyon « Monsieur H. devait adapter sa vitesse et sa trajectoire à l’évolution des skieurs et surfeurs situés en aval et le brusque changement de trajectoire de Monsieur J. qui slalomait en aval ne constituait pas un fait imprévisible et irrésistible pour Monsieur H. » La collision n’était donc nullement insurmontable et aurait pu être évitée avec plus de vigilance.

27-Le principe de l’exonération partielle de responsabilité est controversé. La doctrine a fait remarquer l’injustice de ce système  lorsque la faute de la victime est légère. Elle subit alors une double punition puisqu’elle est  privée d’une réparation intégrale alors qu’elle est déjà  sanctionnée par ses souffrances physiques. Par ailleurs, on ne voit pas de raison de l’accabler lorsque la charge de la réparation ne pèse pas sur l’auteur du dommage, qui ne ressentira pas les conséquences de son acte, mais sur l’assureur en responsabilité. Or les pratiquants sont de plus en plus souvent assurés ce qui est nécessairement le cas des licenciés des clubs sportifs et des clients des établissements sportifs couverts par les garanties assurances en responsabilité que doivent obligatoirement souscrire en leur faveur les dirigeants associatifs (C. Sport art L 321-1 ) et les exploitants (C. Sport art L321-8 ).

28-Les règles applicables à l’appréciation de la faute de la victime sont parfaitement symétriques à celles en vigueur pour l’appréciation de la faute de l’auteur du dommage. D’abord, la faute est appréciée « in abstracto », c’est à dire comme une erreur de conduite que ne commettrait pas une personne normalement prudente et avisée.  Il s’agit d’une « faute objective ». Les tribunaux ne prennent pas en considération les circonstances internes à la victime comme son âge. Ainsi, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a considéré que les juges du fond n’étaient pas tenus de vérifier si un mineur victime d’un accident était capable de discerner les conséquences de son acte, et estimé qu’il était possible de laisser à sa charge une part de responsabilité si son comportement a été objectivement fautif[20]. Dès lors, si la cour de Grenoble avait décidé d’un partage de responsabilité entre la jeune fille de 8 ans qui s’était dissimulée derrière une cassure d’une piste de ski et l’auteur de la collision, elle n’aurait pas eu à relever sa probable inconscience du  péril.

29-Le juge n’a pas, non plus, à s’interroger sur le degré de gravité de la faute. Toute imprudence, négligence ou inattention est prise en compte y compris si elle est légère. Ainsi, la cour d’appel de Lyon considère que  le brusque changement de direction du surfeur, qui a dévié de sa trajectoire pour éviter une collision avec son camarade qui skiait en parallèle avec lui, est constitutif d’une faute. La cour de Montpellier porte le même jugement sur  l’adolescente qui a traversé une piste à une allure excessive et sans contrôle. Il s’agit bien de fautes de faible gravité. A cet égard, les amateurs de sports qui se pratiquent sur la voie publique sont mieux traités puisqu’ils peuvent se prévaloir des dispositions de la loi du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisations. En effet, les fautes ordinaires qu’ils  commettent  leur sont inopposables. Le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur qui a fauché un cycliste, un motocycliste, un amateur de roller ou de ski à roulettes ne peut lui opposer que sa faute inexcusable et cause exclusive du dommage. Par ailleurs,  si la victime est âgée de moins de seize ans ou de plus de soixante dix ans, elle sera, dans tous les cas, indemnisée intégralement[21]. Voilà pourquoi, si la jeune skieuse âgée de 8 ans  avait été blessée par une chenillette d’entretien des pistes, que les tribunaux considèrent comme un véhicule terrestre à moteur[22], son conducteur n’aurait même pas pu lui opposer sa faute inexcusable. Mais le risque de collision entre deux skieurs est certainement plus élevé qu’avec un engin à moteur ! Aussi ne saurait-on trop recommander aux pratiquants sportifs de veiller à souscrire des assurances individuelles accident. Elles les mettront à l’abri de mésaventures s’ils ne parviennent pas à engager la responsabilité de l’auteur de l’accident.

 

 

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sports

 

En savoir plus :

 

Jean Pierre VIAL, « Le risque pénal dans le sport », préface du Professeur Rizzo de l’université d’Aix-Marseille, coll. « Lamy Axe Droit », novembre 2012 : commander en ligne

Jean-Pierre VIAL, Le contentieux des accidents sportifs – Responsabilité de l’organisateur, Collec. PUS, septembre 2010 : pour commander l’ouvrage

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Jean-Pierre Vial



Documents joints:

CA Montpellier, 2 nov. 2011

CA Lyon, 29 mars 2012
CA Grenoble, 26 juin 2012



Notes:

[1] CA Montpellier, 2 nov. 2011

[2] CA Lyon, 29 mars 2012

[3] CA Grenoble, 26 juin 2012

[4] « Au point de rendre l’exonération presque inaccessible » pour reprendre la formule d’un auteur. P Brun, responsabilité civile extracontractuelle, Lexis Nexis, 2ème édition n° 391.

[5] La Cour de cassation a écarté l’effet exonératoire de l’acceptation des risques en cas de dommages causés au cours d’une sortie dominicale de cyclistes amateurs (Civ. 2, 5 juin 1985 ; Bull. civ. 1985, II, n° 114 ; JCP G 1987, II, 20744, note E. Agostini).

[6] Civ, 2, 4 novembre 2010. Resp. civ. et assur. 2011, comm. 47, étude 3, S. Hocquet-Berg ; JCP G 2011, 12, note D. Bakouche ; RTD civ. 2011, p. 137, note P. Jourdain. La loi du 12 mars 2012 a partiellement réhabilité l’acceptation des risques pour l’indemnisation  des dommages matériels et de la composante patrimoniale des dommages corporels qui demeurent subordonnés à la preuve d’une faute.

[7] Cette solution avait été appliquée aux choses inertes (arrêt Dame Cadé.  Cass. civ. 19 févr. 1941 : DC 1941, p. 85, note Flour) et  aux choses en mouvement. La Cour de cassation a, ensuite, restreint le champ de la présomption aux seules choses en mouvement, mettant la victime dans l’obligation d’établir, pour les choses inertes, qu’elles avaient participé au dommage parce qu’elles occupaient une position anormale, qu’elles étaient en mauvais état ou insuffisamment signalées.

[8] Civ. 2, 28 nov. 1984, JCP 1985, II, 20477 note N. Dejean de la Batie.

[9] D. 1964 p. 569,  note A. Tunc.

[10] Art. 3 de la loi du 5 juillet 1985.

[11] Civ. 2, 14 oct. 2003, Bull. civ. II, n° 300.

[12] Civ. 2, 27 janv. 2004, D. 2004, p. 285.

[13] « Selon lesquels les skieurs doivent éviter de stationner sur les pistes, notamment dans les passages sans visibilité ».

[14] Les tribunaux ont ainsi écarté ce moyen dans le cas de  vice interne de véhicules automobiles tel qu’une défaillance mécanique (Cass. 2e civ., 16 juill. 1969 : Bull. civ. 1969, II, n° 253 ; D. 1970, somm. p. 31), ou l’éclatement d’un pneu (Cass. 2e civ., 12 févr. 1970 : Bull. civ. 1970, II, n° 51 ; Gaz. Pal. 1970, 1, somm. p. 40).

[15] En effet, le gardien ne peut s’exonérer par la preuve de l’absence de faute de sa part.

[16] Comme un ouragan ou une avalanche. Un arrêt a même affirmé que « La seule irrésistibilité de l’événement caractérise la force majeure ». Cass. 1re civ., 6 nov. 2002, n° 99-21.203. Bull. civ. 2002, I, n° 258 ; Resp. civ. et assur. 2003, comm. 41.

[17] Cass. ass. plén., 14 avr. 2006 : préc. n° 33 et 57.

[18] P. Jourdain. Jurisclasseur Fasc. 161 : droit à réparation. Lien de causalité

[19] En ce sens, S. Bertolaso. JurisClasseur Civil Fasc. 150-60 : Responsabilité du fait des choses – Modes d’exonération.

[20] Cass. ass. plén., 9 mai 1984, Derguini et Lemaire : D. 1984, p. 525, concl. J. Cabannes, note F. Chabas ; JCP G. 1984, II, 20256, note P. Jourdain ; RTD civ. 1984, p. 508, obs. J. Huet.

[21]Loi. du 5 juill. 1985, art. 3, al. 2.

[22] CA Grenoble, 9 févr. 1987, D. 1987.245, note F. Chabas

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