Quel est le contenu exact de l’obligation de sécurité d’un exploitant de salle équipée d’un mur artificiel d’escalade ? Une obligation de surveillance permanente est-elle à sa charge ? La cour d’appel de Paris n’a pas pris position sur cette question. Dans son arrêt du 10 décembre 2015 elle met hors de cause l’exploitant pour avoir rempli son devoir d’information et n’avoir pas commis de faute dans l’organisation de l’activité.

1- Au cours d’une séance d’escalade sur un mur artificiel, un grimpeur décroche du mur et heurte sa camarade,  lui occasionnant une fracture lombaire. La victime  obtient  une indemnité des premiers juges, mais est déboutée en appel. En revanche, le jugement ayant écarté la responsabilité de l’exploitant est confirmé.

2- Le recours exercé contre l’auteur de l’accident n’appelle pas de longs commentaires. Les premiers juges avaient estimé que la chute d’un grimpeur sur une personne au sol suffisait à démontrer qu’il n’avait pas suffisamment vérifié au préalable la disponibilité de la zone de réception avant de décrocher. La cour d’appel fait une toute autre analyse. Elle observe que le grimpeur qui décroche ne peut le faire en ayant la tête tournée en direction de la zone de réception sauf à risquer de se blesser. En conséquence, elle estime qu’il dispose d’un droit de priorité, sur le modèle de celui  qu’on retrouve dans d’autres sports comme le ski ou le skieur aval, qui ne peut tourner la tête pour regarder derrière lui, a priorité sur le skieur amont qui dispose de la visibilité et a le choix de la trajectoire[1].  En l’espèce, la priorité profite au grimpeur qui se trouve au-dessus de la zone de réception. Solution logique puisqu’il peut décrocher à tout instant en raison d’une mauvaise prise ou quand il juge que son ascension devient risquée alors qu’il n’a pas la visibilité de la zone de réception. Dès lors, la victime, qui se  trouvait dos au mur et dans la zone de réception au moment de la chute, ne pouvait apercevoir le grimpeur au-dessus d’elle. La cour d’appel en avait conclu à une faute de sa part.

3- La victime n’imputait pas uniquement son préjudice au grimpeur. Elle reprochait également à l’exploitant une conception défectueuse de la configuration des lieux. Ce n’est pas la première fois que la cour d’appel de Paris est saisie d’un recours formé contre un club d’escalade à cette différence près qu’il s’agissait cette fois-ci d’une société commerciale. Il y a eu, en effet, un précédent dans des circonstances voisines qui avait fait l’objet d’un pourvoi en cassation. En l’occurrence un grimpeur avait chuté alors qu’il descendait la voie d’escalade assuré au sol par son co-équipier. A l’époque l’action en réparation formée contre le club n’avait pas abouti.  L’accident étant survenu lors d’une activité en « libre pratique », la cour d’appel avait estimé qu’il ne pesait  aucune obligation de surveillance sur le club en dehors des séances de formation. L’arrêt  fut cassé au motif que « l’association sportive est tenue d’une obligation contractuelle de sécurité, de prudence et de diligence envers les sportifs exerçant une activité dans ses locaux et sur des installations mises à leur disposition, quand bien même ceux-ci pratiquent librement cette activité »[2] (voir notre commentaire du 27 février 2012). La référence  à l’obligation de sécurité à laquelle sont tenus les organisateurs sportifs était dans l’ordre des choses. En revanche, il y avait de quoi être surpris par la solution retenue. En effet, la Cour de cassation a toujours considéré que l’obligation de sécurité des organisateurs sportifs est de moyens. Elle n’a pas varié dans sa position, qu’il s’agisse d’encadrement d’activités sportives ou d’utilisation d’une installation sportive. Ainsi, elle a jugé que l’emploi des tyroliennes descendantes dans des parcs acrobatiques en hauteur impliquait un rôle actif de chaque participant[3]. Ce n’est que si l’utilisateur n’a eu aucun rôle dans l’exécution du contrat, comme c’est le cas des accidents survenus dans la descente d’un toboggan aquatique[4] ou dans la phase de transport d’un  télésiège[5], qu’elle a admis l’existence d’une obligation de résultat.

4-Le rôle actif de la victime rend l’exécution de l’obligation très aléatoire. Un club d’escalade n’a pas la maitrise du comportement des grimpeurs. Sa mission ne peut guère aller au-delà d’une surveillance de l’activité. Or, dans son arrêt du 21 juin 2010, la cour d’appel de Paris n’avait relevé ni défaut de surveillance ni même un manquement au devoir d’information de l’association. En effet,  les deux grimpeurs avaient décliné l’offre de formation qui leur était proposée et avaient fait le choix de pratiquer l’escalade de façon libre. Si bien qu’un auteur autorisé en était venu à se demander si « en dépit des termes de l’arrêt, la seule atteinte à la sécurité des pratiquants suffisait à établir ou au moins à présumer la faute ».

5- La Cour de cassation n’ayant pas formellement évoqué l’obligation de résultat dans son attendu, on ne pouvait en déduire que l’arrêt avait été censuré pour ce motif. En revanche, il était toujours possible d’envisager l’hypothèse d’une obligation de moyens alourdie dont les exemples ne manquent pas dans le contentieux des accidents sportifs. Ainsi en est-il de l’évaluation du niveau des participants et de la sécurité de l’installation. A cet égard, la Haute juridiction a déjà eu l’occasion de reprocher à des clubs de sports aériens l’absence d’évaluation des capacités physiques et psychologiques de leurs élèves[6] ainsi que le manque de sécurité des installations d’un club de hockey sur glace ayant pourtant une homologation fédérale[7]. Pourtant, il n’y avait rien de tel qui pouvait être retenu contre le club d’escalade. La cour de Paris avait relevé que l’un des deux grimpeurs était  licencié de la FFME et déjà expérimenté. Par ailleurs, la qualité de l’installation n’était pas en cause. Restait alors l’obligation de surveillance. En effet, les deux grimpeurs évoluaient sans encadrement. La Cour de cassation aurait-elle voulu imposer la présence permanente d’un moniteur ?  Elle avait bien mis à la charge d’un exploitant de kart une obligation  de surveillance permanente du comportement des utilisateurs. Toutefois, elle n’y avait pas fait explicitement allusion dans son arrêt du 15 décembre 2011.

6- On trouve des circonstances similaires dans la présente espèce. Les juges écartent d’abord  le moyen tiré d’un défaut de conception des lieux. Ils relèvent que l’installation des prises d’escalade sur les parois et les plafonds permettent d’envisager la présence de grimpeurs tant sur les côtés qu’au plafond de sorte qu’aucune zone de réception n’est identifiable à l’avance et matérialisable au sol. Par ailleurs, aucun défaut d’organisation n’est reproché au club en l’absence de preuve que d’autres grimpeurs auraient gêné l’auteur de la collision au moment où elle sautait en arrière pour s’extraire de la paroi. Enfin l’exploitant avait exécuté normalement son devoir d’information en portant  à la connaissance des adhérents le règlement intérieur qui les informait de l’interdiction de se tenir au sol sous un grimpeur.

7- Un pourvoi en cassation contre cette décision, aurait-il une chance d’aboutir ? En l’occurrence, la cour de Paris ne mentionne pas la présence d’un membre de l’encadrement sur les lieux. On peut supposer que s’il avait été attentif, il n’aurait pas manqué de rappeler à l’ordre la grimpeuse. Il serait donc toujours possible de dire que l’exploitant a manqué à son obligation  de surveillance, soit par défaut d’une présence permanente d’un moniteur, soit par manque de vigilance de celui-ci, ce qui reviendrait à proscrire l’escalade libre en salle. On peut aussi considérer qu’une telle obligation ne devrait s’appliquer qu’à des débutants. Rappelons que la Cour de cassation a imposé une obligation de surveillance permanente à la charge de l’exploitant d’un karting dont les clients étaient des adolescents présents ce jour là  pour le seul plaisir de la découverte d’un sport motorisé. S’agissant d’adhérents d’un club pratiquant régulièrement l’activité, il devrait être possible d’admettre que la présence constante d’un moniteur ne se justifie pas à partir du moment où ils ont un niveau suffisant pour pratiquer en autonomie. En l’espèce, les juges ne nous disent pas si l’exploitant a effectué cette vérification préalable dont l’omission pourrait être retenue contre lui.

8- Plus généralement, cette décision pose la question épineuse des établissements où l’exploitant se borne à mettre des équipements à disposition de sa clientèle. On pourrait estimer que les plus dangereux ne peuvent être utilisés sans la présence d’un encadrement dans la salle. En revanche, si on s’en tient à l’analyse faite par la cour d’appel de Paris, l’utilisation des autres équipements pourrait se faire sans surveillance à la condition formelle que les adhérents de la salle aient été informés du mode d’emploi de chaque matériel.

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sport

Jean-Pierre VIAL, Le contentieux des accidents sportifs – Responsabilité de l’organisateur, Collec. PUS, septembre 2010 : pour commander l’ouvrage

En savoir plus :

CA LYON 10 DECEMBRE 2015.

 

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Jean-Pierre Vial



Documents joints:

CA LYON 10 DECEMBRE 2015

Notes:

[1] Cass., 2ème civ. 20 janv.  1993, n° 91-16610 ; bull. civ. II n° 27 p. 13. [2] Cass. 1re civ., 15 déc. 2011, n° 10-23.528 et 10-24.545, [3] Cass. 1re civ., 22 janv. 2009, n° 07-21843, [4] Cass. 1re civ , 3 févr. 2011, n° 09-72325, [5] Cass. 1re civ. 10 mars 1998, n° 96-12141, [6] Cass. 1re civ. 5 nov. 1996, n° 94-14975  et 29 nov. 1994, n ° 92-11332, [7] Cass. 1re civ., 16 mai 2006, n° 03-12.537,

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