L’arrêt rendu le 25 janvier 2016 par la cour d’appel de Paris devrait intéresser les agents de l’Éducation Nationale en charge de l’organisation des classes de découverte et leurs prestataires. Ils en tireront la confirmation de la responsabilité de l’État lorsque l’encadrement de la classe est assuré, non par un maître mais par un moniteur. Ils y trouveront également d’utiles enseignements sur les conditions de surveillance d’une leçon de ski, qu’il s’agisse de la position du moniteur en charge du cours ou de l’encadrement de la sortie.

1-Une jeune fille, en classe de neige, qui prenait une leçon de ski avec un moniteur de l’École de Ski Français (ESF) est victime d’une chute, après avoir été déséquilibrée par une skieuse non identifiée qui, en voulant éviter un garçon tombé sur la piste, lui a coupé brusquement la trajectoire. L’État français et l’ESF, assignés en responsabilité par les parents de la victime, sont mis hors de cause par les premiers juges qui condamnent le Fonds de Garantie des Assurances Obligatoires de Dommage (FGAO)[1] à indemniser la victime. Celui-ci fait alors appel du jugement reprochant un défaut de surveillance à l’État français et au moniteur de ski, qui aurait été absent au moment de l’accident sur la piste de ski. Il soutient également que les parents de la victime n’établissent pas la responsabilité d’un tiers dans la chute de l’enfant et conclut à l’existence d’une faute de la victime, qui n’aurait pas maîtrisé sa vitesse.

2-Cet accident est survenu, faut-il le rappeler, dans le cadre scolaire. Il est acquis de longue date (loi de 1937 modifiée)[2], que l’État se substitue aux enseignants devant les juridictions judiciaires pour les dommages causés aux élèves ou par un élève lorsque l’accident est imputable à une faute de surveillance de leur part. Cette substitution est applicable également lorsque l’accident intervient en dehors de la scolarité. En l’espèce, il est survenu lorsque les enfants étaient sous la garde d’un moniteur de l’ESF qui n’est pas membre de l’enseignement public. Toutefois, cette qualité a été comprise dans un sens libéral. C’est moins l’appartenance à l’institution que la fonction d’enseignement qui a prévalu. Ainsi, le tribunal des conflits a admis, à deux reprises, que la qualité d’agent public soit étendue à un agent communal, l’un moniteur d’une classe de neige[3] et l’autre encadrant une activité d’escalade organisée dans le cadre d’un contrat d’aménagement du temps de l’enfant[4]. Dans les deux cas, il a jugé que la survenance de l’accident alors que la victime se trouvait dans un groupe sous la surveillance, non de l’instituteur mais d’un moniteur intervenant extérieur ne faisait pas obstacle à l’application de la loi de 1937. Il suffit que l’activité encadrée par le moniteur se rattache à l’enseignement public et soit organisée par des instituteurs, ce qui était le cas en l’occurrence puisque l’accident était survenu à l’occasion d’une classe de neige.

3-La responsabilité de l’État était donc subordonnée à l’existence d’une faute de surveillance du moniteur. Le FGAO soutenait qu’il était absent de la piste de ski au moment de l’accident, puisque les enfants avaient dû aller le chercher. Placé à la tête du groupe, il s’était trouvé en effet en aval au moment de l’accident et n’avait pas assisté à la chute de l’enfant. Pourtant, le tribunal considère que cette position est d’usage dans le cadre des cours collectifs.

4-Question épineuse que celle de l’emplacement du moniteur qui n’est pas propre au ski puisqu’on la retrouve dans d’autres disciplines comme la randonnée équestre[5]. Dans le doute, les tribunaux ne se prononcent pas. La cour d’appel de Chambéry  estime que le moniteur de ski est le seul juge de l’endroit qu’il estime le mieux placé pour surveiller l’évolution de son groupe[6]. De même, le TGI d’Albertville considère que le moniteur ne commet  pas de faute à faire skier un de ses élèves devant lui ou de le  précéder en lui indiquant le trajet à emprunter[7].  La cour de Douai[8] envisage distinctement la situation du moniteur qui donne une leçon et celle où son rôle se limite à l’accompagnement. Dans le premier cas, il doit se trouver en tête. En revanche dans sa fonction d’accompagnateur, sa position en serre-file est la bonne car elle lui permet de garder en vue l’ensemble des jeunes et, si besoin est,  de venir en aide à celui qui se trouverait en difficulté sans avoir à se retourner (voir notre commentaire). En définitive, la position du moniteur, qu’il soit en tête du groupe ou en serre-file, n’a pas d’incidence sur l’appréciation de ses diligences normales. Dès lors, si son positionnement en tête n’était pas critiquable, il était inévitable que s’écoulent quelques minutes avant qu’il se rende auprès de la victime et alerte les secours. Ce laps de temps où elle s’est retrouvée seule ne peut lui être reproché dès lors qu’il a rebroussé chemin dès qu’il a été informé de la chute. Enfin, il n’est pas inutile de rappeler, comme l’ont fait les juges, que le moniteur n’était tenu que par une obligation de moyens dont il s’est normalement acquitté. C’est donc à juste titre que la cour d’appel a écarté sa responsabilité.

5-En ce qui concerne celle de l’État, le Fonds de Garantie des Assurances Obligatoires soutient qu’elle est engagée car le maître en charge de la classe de neige n’a pas respecté les dispositions des circulaires du 3 juillet 1992 et du 21 septembre 1999. La première permet au maître d’être déchargé de la surveillance à condition d’assumer de façon permanente par sa présence et son action la responsabilité pédagogique de l’organisation et de la mise en oeuvre des activités scolaires. La seconde prévoit un encadrement des élèves par deux adultes au moins, dont le maître de classe. Il est donc reproché à l’enseignant d’avoir laissé les enfants en l’absence totale d’encadrement par un adulte. Cela revenait à faire une lecture discutable de la circulaire de 1999 qui requiert la présence de deux adultes pour l’encadrement des élèves mais ne dit pas s’ils doivent être simultanément à proximité immédiate des élèves. En l’occurrence ceux-ci étaient bien pris en charge par un adulte. De surcroît, l’absence du maître aux pieds des pistes n’a pas été établie. La cour d’appel en a donc logiquement conclu qu’aucune faute de surveillance n’était démontrée pour retenir la responsabilité de l’État.

Il ne restait guère au FGAO que de soulever la faute de la victime comme cause d’exonération. Il soutenait qu’elle n’aurait pas maitrisé sa vitesse. Mais pour la cour d’appel sa chute est imputable à une faute de la skieuse non identifiée qui a coupé brusquement la trajectoire à la victime, la faisant chuter. Par là même, elle aurait enfreint, selon les juges, la règle de conduite n° 3 édictée par la Fédération Internationale de Ski, en vertu de laquelle le skieur amont, dont la position dominante permet le choix d’une trajectoire, doit effectuer ses dépassements de manière assez large pour prévenir les évolutions des skieurs aval. La référence à ce texte n’est pas concluante car la skieuse non identifiée n’a pas eu le choix de la manœuvre puisqu’elle y a été contrainte pour éviter un skieur au sol. Il est difficile de qualifier de fautif un comportement imposé par les circonstances. En revanche, son écart constituait pour la victime un cas de force majeure, car il était imprévisible et irrésistible. Il suffisait donc d’imputer l’accident au fait exclusif du tiers par nature incompatible avec une faute de la victime pour obtenir l’indemnisation du dommage par le FGAO.

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sport

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PARIS 25 JANV 2016

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Jean-Pierre Vial



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PARIS 25 JANV 2016



Notes:

[1] Le fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages indemnise les victimes des dommages nées d’un accident survenu en France dans lequel est impliqué un véhicule à moteur. Une loi de 1977 a étendu sa compétence à la prise en charge des victimes d’accidents corporels causés par « une personne circulant sur le sol » et survenant dans un lieu ouvert à la circulation publique, sans aucune mention d’un véhicule terrestre à moteur. Il est donc possible d’impliquer le FGAO pour un accident provoqué par un skieur. Le fonds intervient notamment pour indemniser la victime lorsque la personne responsable du dommage est inconnue comme c’était le cas en l’espèce. Art. L 421-1 C. Assurances.

[2] Art. L 911-4 C. éducation.

[3]Trib. confl. 15 févr. 1999, Martinez. Bull.1999 CONFLITS n° 2 p. 1 Dr. adm. nov. 1999, n° 288

[4] Trib. confl. 19 nov. 2001, Garcia.

[5] Ainsi, la Cour de cassation a estimé qu’en se trouvant en tête de la colonne au lieu d’en fermer la marche, le moniteur d’équitation ne pouvait pas se rendre compte du comportement anormal des chevaux et n’avait donc pas le temps de barrer la route à un animal qui s’emballerait Cass. civ. 1, 20 juill. 1988. n° 86-19356.

[6] Chambéry, 2 nov. 1983 Gaz. Pal. 1983 somm. P. 429.

[7] TGI Albertville 4 déc. 1981 Gaz. Pal. 1982 p. 31. Paris 15 oct. 1997. Juris-Data n° 023169 « le moniteur qui descendait le premier la piste avait un comportement qui lui permettait de contrôler la façon de descendre de ses élèves. »

[8] 12 nov. 2015. RG n° 14/02487.

 

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