L’obligation de sécurité des clubs sportifs n’est pas standard. L’appréciation qu’en a le juge est étroitement dépendante du degré de dangerosité de la discipline et du profil de ses pratiquants. Dans les sports comme la gymnastique où la probabilité d’une chute est élevée, le moniteur a une obligation de surveillance rapprochée d’autant plus impérative qu’il encadre des jeunes au point que la Cour d’Appel de Caen a admis dans un arrêt du 12 février 2013 que l’inobservation de cette obligation engageait en totalité la responsabilité du club au point même d’absorber la faute de la victime qui n’a pas appliqué les consignes de sécurité prescrites par l’entraîneur.

1-Une jeune gymnaste fait une chute à l’entraînement et se blesse au bras en effectuant un salto arrière. L’accident s’est produit en l’absence de la monitrice qui s’occupait d’un autre groupe. Celle-ci prétend que la victime n’a pas appliqué ses instructions. D’une part, elle a donné pour consigne à son groupe d’installer des tapis au sol pour l’apprentissage d’acrobaties et de l’attendre avant de commencer les enchaînements, afin qu’elle s’assure que tout était en place. D’autre part, elle observe que les jeunes filles ont effectué l’exercice sur un tapis de taille insuffisante alors qu’elle leur avait demandé d’installer de gros tapis.

2-Les parents de la victime qui avaient formé une action en réparation contre le club sont déboutés par les premiers juges au motif qu’aucune faute de surveillance de l’association n’était démontrée et que l’accident était imputable à la victime qui n’avait pas respecté les consignes de la monitrice.  La jeune fille, une fois majeure, fait appel et obtient gain de cause. La cour de Caen estime, contrairement au tribunal, que le club a manqué à son obligation de sécurité.

3-Voici donc la faute de surveillance une nouvelle fois au cœur des débats sur l’obligation de sécurité des associations sportives. Si la cour d’appel rappelle, à juste titre, qu’il s’agit d’une obligation de moyens dont la victime doit établir l’inexécution,  cette formule n’a plus guère de sens  pour les sports à risque comme la gymnastique. L’obligation de surveillance a atteint un tel niveau d’exigence dans ces disciplines qu’il serait plus juste de parler d’obligation de résultat atténuée. La Cour de cassation avait déjà imposé une obligation de surveillance constante aux entraîneurs des clubs de gymnastique, en reprochant à l’un d’eux d’avoir laissé ses élèves âgés de 8 ans s’entraîner seuls au cheval d’arçons[1]. Les juges du fond l’ont renforcé en y ajoutant un devoir de vigilance. La seule présence du moniteur dans la salle où se déroule la séance ne suffit pas.  Il doit faire preuve d’une vigilance de tous les instants. Les tribunaux  traquent la moindre inattention. Ainsi, il a été reproché à un enseignant, bien que posté à proximité immédiate d’un cheval d’arçons d’avoir eu l’attention retenue par l’inscription de notes sur un carnet au lieu de parer le saut d’un élève[2] ; à un autre, occupé à régler une barre fixe, de n’avoir pas prêté attention à un élève âgé de 15 ans qui a effectué plusieurs mouvements aux anneaux avant de tomber et de se blesser[3]. L’obligation de vigilance implique donc une surveillance rapprochée. Lorsque les élèves sont répartis en atelier, l’enseignant doit se tenir à proximité de celui où se déroule l’exercice le plus dangereux[4] ou s’il alterne le travail, être auprès des élèves qui accomplissent des mouvements dangereux afin de prévenir tout geste intempestif[5].  Ainsi, un manquement au  devoir de surveillance a été retenu dans des espèces où les moniteurs n’étaient pas constamment présents sur un atelier de barres asymétriques[6], de trampoline[7]  de barre fixe[8],  de poutre[9] ou encore de barres parallèles[10].

4-L’arrêt de la cour d’appel de Caen s’inscrit dans la droite ligne de cette jurisprudence. Il reproche, en effet, à la monitrice présente dans la salle, d’avoir eu l’attention portée sur un autre groupe lorsque l’accident est survenu. Mais il va au-delà, relevant encore d’un cran le seuil de l’obligation de surveillance. Bien qu’aucune réglementation ne détermine l’effectif d’encadrement, il reproche au club de n’avoir pas prévu la présence de deux animatrices comme il le faisait d’habitude. L’obligation de prudence dépasse le seuil des obligations fixées par les instances sportives.

5- C’est l’occasion de vérifier une fois de plus l’élasticité de l’obligation de sécurité laissée à la discrétion des juges qui  décident de son contenu au gré des circonstances de l’espèce. Ici ce sont la dangerosité de la discipline et l’âge des jeunes qui ont motivé la décision.  Faisant application de la théorie de la causalité adéquate, la cour d’appel écarte sans ménagement le moyen d’exonération soulevé par la monitrice dont les consignes de sécurité n’ont pas été observées. Le manquement du club à son obligation de sécurité absorbe la faute du jeune. C’est l’élément déclencheur et déterminant de l’accident. L’inobservation des consignes n’a fait que concourir au dommage mais n’en a pas été le fait générateur.  Si ce raisonnement doit être approuvé lorsqu’il s’agit de débutants incapables par méconnaissance de la discipline d’en évaluer le danger, en revanche, on peut être plus réservé lorsqu’il s’agit de pratiquants expérimentés même si ce sont des jeunes. En effet, ceux-ci ne peuvent ignorer le danger dont ils ont pu prendre conscience au fil des entraînements. Aussi faut-il regretter que la cour de Caen n’ait fait aucune allusion à leur niveau.

6-Cette décision est loin d’être isolée. L’obligation de surveillance renforcée a de nombreuses applications. Ainsi, il a été reproché à  l’organisateur d’un baptême de plongée subaquatique de n’avoir pas fait  la remontée « les yeux dans les yeux »[11] ; à un moniteur d’équitation d’avoir abandonné son élève à l’arrière[12], au moniteur de VTT de s’être laissé distancer par ses élèves[13] ou encore à un club de football d’avoir laissé des enfants sans surveillance dans les vestiaires (voir notre commentaire). Dans la même veine, la 1ère  chambre civile de la Cour de cassation a imposé une obligation de surveillance permanente à l’exploitant d’un karting, à qui il était reproché d’avoir laissé conduire pendant plusieurs tours une jeune pilote dont la chevelure flottant au vent s’était enroulée autour de l’axe de rotation des roues arrière de son kart[14]. Comme si cela ne suffisait pas, elle a encore relevé son niveau d’exigence en reprochant à un club qui mettait un mur d’escalade à la disposition de ses membres pratiquant librement cette activité, d’avoir manqué à son obligation de sécurité (voir notre commentaire). Dans cette espèce, les deux grimpeurs n’étaient ni des enfants ni des débutants. La cour d’appel avait pris soin de relever que la victime était un adulte licencié de la Fédération Française de Montagne et d’Escalade et déjà expérimentée. La dangerosité de l’activité deviendrait donc l’unique critère de l’obligation de surveillance permanente.

7-Cette jurisprudence est lourde de conséquence pour les petits clubs qui peinent à mobiliser des bénévoles pour encadrer leurs activité et n’ont pas les moyens financiers de salarier des éducateurs. La sécurité des personnes, devenue dans notre société aseptisée une exigence absolue menace de décourager les bonnes volontés. Plutôt que de prendre le risque d’un renchérissement des primes d’assurance à la charge des clubs, ne faudrait-il pas rendre l’assurance individuelle accident obligatoire ? Cette mesure à laquelle il faudra bien que le législateur se résolve un jour permettrait d’éviter une mise en cause trop systématique des clubs au risque de mettre en péril leur existence.

 

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sports

 

En savoir plus :

Cour d’Appel de CAEN_12_FEV_2013

Jean Pierre VIAL, « Le risque penal dans le sport« , coll. « Lamy Axe Droit », novembre 2012 : commander en ligne 
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Jean-Pierre Vial





Notes:

[1] Civ. 7 janvier 1982, Club de gymnastique « les enfants du devoir » c/ R. Guillot.

[2] TGI Laon, 16 avril 1991, Coupain c/ CPAM St Quentin.

[3] CA Versailles, 3 décembre 1979, Préfet des Hauts de Seine c/Pierre Saliou.

[4] CA Nancy, 12 mars 1987, Wilhem c/ Préfet de la Meuse Juris-Data n° 041354.

[5] TGI Marseille,  27 mars 1998, Mlle Janoyer c/ Préfet des Bouches-du-Rhône.

[6] TGI Marseille, 22 février 2005, A. Le Mazier c/ Préfet des Bouches-du-Rhône.

[7] TGI Versailles, 7 octobre 1999, M. Rouillard c/ Préfet des Yvelines.

[8] Lyon, 18 avril 2001, n° RG 1999/07623.

[9] CA Nancy, 3 février 1997, Préfet de Meurthe et Moselle c/ Mersouk.

[10] TGI Besançon, 22 févr. 1996, M. Poulot c/ Préfet du Doubs.

[11] T. Corr. Mulhouse, 14 février. 2002, Juris-Data n° 215633. Dans le même sens, CA Nancy 15/11/2004 Juris-Data  n° 286677. CA Bordeaux 1er avril. 2003 ; Juris-Data n° 213646.

[12] CA Paris, 3 février 1982, D. 1984, somm. p. 187 note E. Wagner. CA Versailles, 10 novembre 1988, D. 1989, IR p. 24. CA Aix-en-Provence, 10ème ch. 25 janvier 1994, Juris-Data n° 041173 et 14 septembre 1994, Juris-Data n° 046438. CA Paris, 7 mai 1998, 1ère ch. sect. B  SARL Du Clos de la Bonne. CA Besançon, 19 déc. 2001, Juris-Data  n° 180882. CA Rennes, 8 novembre 2006, Juris-Data  n° 325556.

[13] Civ.1, 11 mars 1997, Bull. civ. I, n° 89, p. 58. Dans le même sens : Rennes, 14 juin 1994, Le Hiress c/ Le Quiniou ; association Chêne et Roc.

[14] Civ 1, 1 décembre 1999, Bull. Civ.  1999 I n° 330 p. 215.

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