L’arrêt de la cour de Grenoble du 28 avril 2016 confirme une position constante de la jurisprudence qui met à la charge des organisateurs sportifs une obligation de sécurité alourdie quand ils encadrent des débutants dans la pratique d’un sport comportant certains risques, comme le golf. De même, elle considère qu’on ne peut reprocher de faute au joueur néophyte qui n’a pas reçu de consignes de sécurité de la part du coach en charge de l’initiation des participants. Celui qui a blessé à la tête un autre participant avec son club l’a appris à ses dépens !

1-Voici les faits. Lors d’une journée d’initiation au golf organisée par une association sur invitation d’une entreprise, une des participantes est blessée au visage par le club de golf d’un autre joueur qui s’apprêtait à frapper la balle. L’accident est survenu alors qu’elle se penchait pour récupérer une balle dans la zone de sécurité à respecter autour de chaque joueur. La victime assigne en réparation l’association organisatrice de la manifestation et son assureur ainsi que le joueur qui l’a blessée au visage. Les premiers juges les déclarent chacun responsables pour moitié du dommage, l’association pour avoir manqué à son obligation de sécurité et l’auteur du dommage en qualité de gardien de la chose sur le fondement de l’article 1384 alinéa 1 du code civil. En appel, la cour de Grenoble confirme le jugement sur la responsabilité mais l’infirme en condamnant solidairement l’assureur de l’association organisatrice et l’auteur des faits à l’entière réparation du dommage.

2-Dans tout sport à risque, le pratiquant néophyte ignore les dangers qui n’apparaissent pas au premier coup d’œil, alors que ceux-ci sont bien connus des professionnels et des pratiquants aguerris. Le golf n’est pas en soi un sport dangereux mais ses adeptes savent bien qu’un joueur sur le point de lancer une balle effectue avec son club pourvu d’un long manche un mouvement de rotation qui constitue un danger potentiel dans un certain périmètre autour de lui. La personne qui se présente pour la première fois sur un praxis de golf en ignore l’existence. En outre, elle n’a pas l’esprit disponible pour mesurer le danger alors qu’elle mobilise toute son énergie à faire l’apprentissage des gestes de la discipline. En conséquence, lors de la phase préalable d’initiation au cours de laquelle lui sont enseignés les rudiments de la discipline, l’éducateur qui encadre la séance doit aviser les débutants des consignes à respecter et appeler leur attention sur la zone de sécurité à observer autour de chaque joueur.

3-En l’espèce, si les participants ont bien reçu, en début de journée, une initiation au golf rien n’indique que des consignes « précises et suffisantes » leur ont été données sur cette mesure de sécurité. Une telle négligence à l’égard d’un débutant qui prend sa première leçon de golf constitue assurément une faute susceptible, à elle seule, d’engager la responsabilité de l’association organisatrice.

4-L’obligation de fournir un encadrement qualifié fait aussi partie de l’obligation de sécurité de l’organisateur, spécialement s’il s’adresse à des débutants. En l’espèce 25 d’entre eux étaient répartis en 5 groupes et 8 ateliers avec un seul golfeur professionnel « référent » pour l’ensemble de la manifestation. Les groupes, uniquement composés de débutants, étaient encadrés par un « coach » non professionnel du golf et chaque atelier animé par un ou deux responsables, eux aussi non professionnels et salariés d’une entreprise dépendant de l’association organisatrice. La cour d’appel en déduit que l’encadrement était « insuffisant ». S’il ne l’était pas numériquement puisque chaque atelier ne comprenait pas plus de trois participants, en revanche, il l’était qualitativement aux yeux des juges qui observent qu’aucun des encadrants n’était un professionnel du golf. Fallait-il pourtant que les ateliers soient encadrés par des professionnels ? Des cadres fédéraux bénévoles mais expérimentés auraient pu suffire pour rappeler dans chaque atelier les consignes de sécurité et s’assurer qu’elles étaient exécutées. S’il s’avère que les responsables des ateliers n’avaient aucune compétence pour encadrer des débutants et rappeler des consignes élémentaires de sécurité, on a peine à comprendre qu’ils aient eu en charge l’animation d’un atelier. Quoiqu’il en soit, l’organisateur a commis une double faute et assurément manqué à son obligation de sécurité.

5-Le joueur qui avait blessé sa camarade avec son club était également assigné par la victime. Celle-ci ayant bien compris qu’aucune faute ne pouvait lui être reprochée, avait agi contre le joueur sur le fondement de l’article 1384 alinéa 1. En l’espèce tout laisse à penser qu’il avait bien la qualité de gardien du club. Il détenait un pouvoir de fait sur celui-ci qu’il maniait à sa guise. Il n’était pas préposé de l’organisateur, ce qui l’aurait privé du pouvoir de direction et de contrôle sur la chose qui reste alors acquise à son propriétaire. Par ailleurs, il avait bien la garde du comportement du club. En effet, pour être réputé gardien de la structure, il aurait fallu établir qu’un club de golf est une chose dotée d’un dynamisme propre et dangereux et que l’accident a été imputable au défaut de l’appareil, ce qui n’est assurément pas le cas. Un annotateur de l’arrêt se demande toutefois si ce joueur disposait bien de tous les attributs de la garde alors qu’il était débutant, insuffisamment encadré et informé des dangers par l’association[1]. La proposition est intéressante mais elle se heurte à la jurisprudence qui admet qu’un dément ou un enfant en bas âge[2] ont la qualité de gardien. Si ceux-ci sont censés exercer un pouvoir de contrôle et de direction sur une chose, on aura du mal à faire admettre qu’un tel pouvoir ne peut être mis en œuvre par un adulte débutant.

6-Le gardien d’une chose peut toujours s’exonérer de sa responsabilité en établissant l’existence d’une cause étrangère dont la plus habituelle est celle d’une faute de la victime. En l’occurrence, la situation n’était guère favorable au joueur car les mêmes raisons qui ont empêché l’organisateur de se prévaloir d’une faute de la victime s’appliquaient aussi à l’auteur du dommage. En effet, si aucune consigne de sécurité n’a été donnée à la victime sur les précautions à prendre, il est acquis qu’elle n’a pu commettre de faute dès lors qu’elle ignorait tout du danger. Aussi, le moyen d’exonération tiré d’une faute de sa part, n’avait pas plus de chance d’aboutir que celui soulevé par l’organisateur de la manifestation.

7-C’est dire qu’un dommage survenu entre personnes non initiées et non averties du danger est redoutable pour celui qui manie un matériel sportif car, non seulement, sa responsabilité est engagée du seul fait de la survenance du dommage, mais il ne peut s’en exonérer en administrant la preuve d’une faute de la victime. En l’espèce, cependant, l’auteur du dommage n’était pas privé de tout recours puisqu’il avait la possibilité d’appeler en garantie l’association pour lui faire supporter l’intégralité de la condamnation. La cour d’appel a, d’ailleurs, relevé cette omission en observant que la condamnation solidaire de l’auteur du dommage et de l’association était prononcée « sans préjudice de toute action récursoire dont ni le Tribunal, ni la Cour n’ont été saisis en l’état ».

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sport
Jean-Pierre VIAL, Le contentieux des accidents sportifs – Responsabilité de l’organisateur, Collec. PUS, septembre 2010 : pour commander l’ouvrage

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CA GRENOBLE 26 AVRIL 2016

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Jean-Pierre Vial



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CA GRENOBLE 26 AVRIL 2016



Notes:

[1] J.Ch. Bonneau, Semaine juridique n° 22, 30 Mai 2016, 631
[2] Cass. ass. plén., arrêts du 9 mai 1984 ; D. 1984, jurispr. p. 525, concl. J. Cabannes, note F. Chabas ; RTD civ. 1984, p. 508, obs. J. Huet

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