L’arrêt rendu par la cour d’appel de Versailles le 2 février 2017 à la suite d’une chute à VTT met en lumière le rôle majeur de la causalité dans la responsabilité du fait des choses. En l’occurrence, la demande de réparation formée par la victime d’une chute à VTT n’a pas pu aboutir en l’absence de preuve que le circuit où s’est produit l’accident avait eu un rôle actif dans la survenance du dommage.

1-Un jeune amateur de ‘free-ride’ – sport consistant à franchir avec un VTT des bosses en effectuant des sauts, voire des figures – fait une chute en franchissant une bosse et reste tétraplégique. L’accident est survenu dans une forêt géré par l’ONF, sur un terrain que des jeunes ont aménagé illégalement et à son insu. La victime assigne en réparation l’ONF sur le fondement des anciens articles 1382 et 1384 alinéa 1 du code civil. Le rejet de ses prétentions par les premiers juges et l’approbation du jugement en appel étaient attendus.

2-La victime reprochait tout d’abord à l’ONF d’avoir commis une faute au sens de l’ancien article 1382 du code civil en ne prenant pas les mesures nécessaires à la sécurité du public. Elle aurait dû, selon ses prétentions, interdire l’accès au circuit et détruire les aménagements réalisés en toute illégalité.

3-La cour d’appel rappelle que l’ONF a une obligation de sécurité en qualité de gestionnaire d’équipements, tels que sentiers, pistes cavalières, aires de jeux ou de pique-nique. Cependant, cette obligation de sécurité n’est que de moyens. En effet, l’établissement public a en charge la préservation d’un espace naturel fort étendu. Aussi, « il ne saurait répondre des éventuels dangers présents dans les espaces qui ne sont pas spécialement  aménagés en vue de l’accueil du public, et qui sont inhérents soit à la nature, soit aux agissements de tiers, tâche qui ne correspond ni à sa mission, ni à ses moyens, puisqu’il ne dispose que d’une quinzaine d’agents de terrain ». Par ailleurs, s’il lui appartient de détruire un tel aménagement « préjudiciable pour la forêt et dangereux pour ses usagers » c’est à la condition d’en avoir eu connaissance, preuve qui, en l’espèce, faisait défaut. En effet, l’arrêt relève que « le lieu de l’accident est à l’écart de toute zone aménagée, n’est pas signalisé, et n’est accessible qu’après plusieurs minutes de marche sur un chemin ». Le fait que la parcelle litigieuse se trouve à proximité de la voie ferrée, que l’ONF a la charge d’entretenir, ne suffit pas aux yeux des juges pour démontrer sa connaissance des lieux dès lors que les coupes n’interviennent que par rotations de 15 ans.

4-Dans ces conditions, l’action en réparation fondée sur l’existence d’une faute qui n’est pas établie ne pouvait donc qu’être rejetée. Aussi, pour contourner la difficulté, la victime avait également assigné l’ONF sur le fondement de la responsabilité du fait des choses qui a l’avantage de reposer sur une « présomption de responsabilité » à condition d’établir que la personne dont la responsabilité est recherchée est gardienne de la chose et que celle-ci a été l’instrument du dommage.

5-Par principe, le propriétaire d’une chose en est présumé gardien. Cette présomption facilite l’action de la victime en cas de doute sur l’identité du gardien. C’est au propriétaire de faire tomber la présomption en rapportant la preuve qu’il s’est dépossédé de la chose ou qu’elle lui a été subtilisée. Il est aussi admis que l’impossibilité pour le propriétaire de surveiller la chose fait tomber la présomption de garde. Or ce sont précisément les circonstances qui constituent le cadre de l’arrêt rendu par la cour d’appel de Versailles. Ainsi qu’il a été dit précédemment, l’ONF ignorait l’existence du circuit à l’écart de toute zone aménagée. Aussi, si on considère que l’établissement public a été dépossédé d’une parcelle de terrain aménagée à son insu,  pourquoi ne pas considérer que les jeunes amateurs de « free-ride » en ont acquis la garde au même titre que la personne qui grimpe sur une échelle sans y avoir été invitée par son propriétaire, en devient la gardienne[1]. Mais la cour de Versailles n’a pas conclu en ce sens.

6-En admettant que l’ONF fut gardien de la parcelle aménagée, il fallait encore établir que le terrain litigieux avait bien été la cause du dommage, ou plus précisément qu’il avait joué « un rôle actif » dans sa survenance. Par principe, lorsqu’une chose est en mouvement et qu’elle est entrée en contact avec le siège du dommage, la victime bénéficie d’une présomption de causalité entre le fait de la chose et le dommage. C’est le cas lorsque deux vélos entrent en collision[2]. En revanche, si la chose avec laquelle la victime est entrée en contact est inerte, elle doit prouver que les apparences sont trompeuses et que la chose, bien que passive, a provoqué le dommage. En pratique, il faudra établir une anomalie de sa part provenant soit de sa position anormale soit d’un vice de conception, de fabrication ou d’un défaut d’entretien. Aussi la position de la cour d’appel de Versailles est-elle tout à fait orthodoxe lorsqu’elle rappelle qu’il incombe à la victime de démontrer que la chose (ici le circuit) » « a participé de façon incontestable et déterminante à la production du préjudice, en raison de son caractère anormal, qui doit receler potentiellement le dommage et ne peut résulter uniquement de sa survenue ». L’arrêt reconnaît que « le circuit était en lui-même potentiellement dangereux, à raison de l’absence de sécurisation de ses abords et de l’importance des obstacles créés ». Mais il écarte avec raison l’objection en relevant qu’il a été conçu par ses utilisateurs pour qu’il leur procure des sensations fortes. Sa dangerosité intrinsèque ne pouvait donc être considérée comme anormale.

7-La cause de la chute n’est donc pas un aménagement défectueux de la parcelle mais la conséquence d’une fausse manœuvre de la victime. En effet, l’accident est survenu en fin de séance alors que l’adolescent s’apprêtait à quitter le circuit. La fatigue commençant à se faire sentir, la probabilité d’une chute de sa part s’en trouvait naturellement accrue. Comme le relève l’arrêt elle s’explique par « un manque de vitesse du vélo » lorsque son propriétaire « a tenté de franchir une ultime bosse » ce qui « montre que l’accident ne peut être considéré comme inhérent au relief en lui-même ». C’est donc bien le comportement de la victime qui a été l’instrument du dommage car sa chute « aurait parfaitement pu se produire en dehors du circuit, par exemple sur un itinéraire naturellement escarpé ». Les circonstances dans lesquelles elle est survenue ont permis à la cour d’appel d’en déduire, à juste titre, que la parcelle n’avait joué aucun rôle dans la survenance de l’accident.

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur honoraire Jeunesse et Sport, Docteur en droit

Jean Pierre Vial est l’auteur d’un guide de la responsabilité des organisateurs d’accueils collectifs de mineurs, d’un guide de la responsabilité des exploitants de piscines et baignades, d’un traité sur la responsabilité des organisateurs sportifs et d’un ouvrage sur le risque pénal dans le sport.

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CA VERSAILLES 2 FEV 2017

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Jean-Pierre Vial



Documents joints:

CA VERSAILLES 2 FEV 2017



Notes:

[1] Civ. 2, 10 juin 1998 n°96-21228 ; Bull. civ. II N° 180 p. 106. Resp. civ. et assur. 1998, comm. 298 ; JCP G 1999, II, 10042, note F. Mandin ; RTD civ. 1999, p. 632, obs. P. Jourdain.

[2] En ce sens Civ. 2, 22 mars 1995, n°93-14051. Bull civ. II, n° 99 p. 57.

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