Le colloque du 27 juin 2013 intitulé « Associations, subventions, collectivités : mode d’emploi » a été l’occasion pour Madame Valérie Fourneyron[1] de faire le point sur les nombreuses nouveautés qui attendent le secteur associatif à partir de la rentrée prochaine.

Nombreuses ont été les annonces faites à l’occasion du colloque du 27 juin dernier à Paris sur les apports entre pouvoirs public locaux et associations. Entre la loi d’Economie sociale et solidaire, la nouvelle charte des engagements réciproques « Etat, Collectivités territoriales, Associations » et la réécriture de la circulaire Fillon du 20 janvier 2010 pour tenir compte de l’adaptation du « Paquet Almunia » ou de la nouvelle directive sur les marchés publics, c’est en réalité une bonne partie du socle juridique sur lequel repose actuellement le secteur associatif qui devrait être bouleversé dès la fin de l’automne 2013.

Constat : « Le développement du secteur associatif a été porté par une privatisation de son financement » (V. Tchernonog, CNRS – Centre d’économie de la Sorbonne)[2]
Baisse des subventions publiques (-17% pour la période 2005-2011), forte augmentation de la commande publique (+73% pour la même période), concentration extrême des financements publics sur un nombre restreint d’associations (2% des associations perçoivent 71% des subventions), un tel constat appelle de la part des pouvoirs publics une réponse urgente.
Faisant écho aux difficultés rencontrées par bon nombre de structures associatives, certains n’hésitent pas à interpeller le Premier Ministre pour l’informer du risque d’un « énorme plan social »[3] en préparation. Tandis que le dernier rapport de Viviane Tchernonog souligne « la forte augmentation de la part des ventes aux usagers » (passée de 32% à 36% du budget total du secteur associatif), ce phénomène relativement récent étant à terme susceptible de dénaturer l’action associative. Or, face à de tels changements, le danger pour les associations réside bien dans la tentation de maintenir leur équilibre financier en proposant une offre de services destinée à répondre à des besoins formulés pour des populations désormais solvables.
Sur le front du financement privé, les nouvelles ne sont pas non plus forcément rassurantes. Chaque été, au moment où s’amorcent les discussions de la prochaine loi de finances, la question du mécénat revient sur la table. Niche fiscale ou pas ? Faut-il raboter un avantage qui finalement ne profite qu’à ceux qui paient de l’impôt[4] (en dehors des organismes d’intérêt général bénéficiaires) ? Un rapport de l’Inspection Générale des finances (IGF)[5] intitulé « Pour des aides simples et efficaces au service de la compétitivité » propose de simplifier les taux des réductions d’impôt consenti au titre du mécénat en faveur des organismes d’intérêt général (alignement à 60 % des taux normaux IR et ISF), tout en préservant le niveau majoré de réduction d’impôt pour les associations qui œuvrent en faveur des plus démunis et préconise de diminuer de 10 % l’avantage concédé au titre de l’ISF. La raison : une volonté d’alignement de la France avec les seuils de réduction d’impôts pratiqués en Europe au titre du mécénat et la faible réaction des ménages face à ces diminutions de seuil, lesquels maintiendraient grosso modo leur volume de dons accordés aux associations et autres organismes d’intérêt général[6] quel que soit le niveau de l’avantage fiscal consenti. Comme tous les étés, la Conférence Permanente des Coordinations Associatives (CPCA) [7] se voit contrainte de monter au créneau pour rappeler la nécessité de sécuriser le régime fiscal du don…
Pour autant, il existe de bonnes raisons de se montrer optimiste : si l’on en juge les chiffres dont nous disposons, le nombre de création d’associations est en constante augmentation (+2,5% par an en moyenne)[8], le bénévolat connaît un succès indéniable (+14% de bénévoles entre 2010 et 2013)[9] et le mécénat poursuit une progression régulière[10].
C’est donc à partir de ces différents constats qu’il convient de présenter les annonces récemment faites par le Gouvernement et d’apprécier les changements annoncés.

Loi d’Economie sociale et solidaire pour les associations : vers le pluralisme économique ?
Nous ne reviendrons pas sur l’importance du poids économique du secteur d’ESS (associations, coopératives et mutuelles) ainsi que son rôle en matière de création d’emplois, ces données étant désormais largement diffusées. Pour le Gouvernement, il s’agit donc avant tout de « promouvoir un modèle entrepreneurial spécifique »[11] à côté du secteur marchand et étatique, susceptible de concilier « gouvernance démocratique, utilité sociale et performance économique ».
C’est déjà beaucoup.
Le projet de loi d’ESS[12] a donc été présenté au Conseil des Ministres le 24 juillet dernier et devrait être débattu au Parlement d’ici la fin de l’automne 2013. Il concernera en particulier les associations dont les activités consistent à produire des biens ou des services[13]. Néanmoins, un certain nombre de dispositions est susceptible de bénéficier à l’ensemble de ces organismes[14], telles que notamment la définition légale de la notion de subvention, l’accès aux financements de la Banque Publique d’Investissement (500 millions d’euros), le renouveau du titre associatif ou encore la procédure à suivre en matière de fusion…
A ce stade du projet, cette nouvelle législation est-elle susceptible de répondre aux attentes d’un secteur associatif confronté à de réelles difficultés ? Pour certains[15], il apparaît d’ores et déjà que « la loi sur l’ESS n’a pas vocation à être une grande loi sur les associations. » Certes, l’antienne selon laquelle l’apparition d’une définition légale de la subvention suffirait à persuader les collectivités de privilégier ce mode de financement de la vie associative, plutôt que de recourir à la commande publique, nous laisse perplexe. Pour plusieurs raisons : d’une part, cette définition ne fait que reprendre grosso modo les critères définis par la jurisprudence du Conseil d’Etat, de ce fait la sécurisation juridique des relations associations-collectivités susceptible d’en découler nous semble plus relever de la « méthode coué » que d’une situation objective de changement ; d’autre part, le recours à la technique de l’appel à projets impulsée par la législation communautaire (« Paquet Almunia ») recèle en elle un danger tout aussi prégnant : celui portant sur le critère de l’initiative. Et sur ce point, les collectivités publiques devront être extrêmement vigilantes pour éviter tout risque de requalification en commande publique ; enfin, les prétendus besoins en matière de sécurisation des financements publics ne compenseront pas la diminution importante des crédits dont disposent l’Etat et les collectivités locales[16] du fait de la crise économique que nous subissons.
Certes, nous devons conserver l’espoir que les courbes de cette mauvaise conjoncture économique s’inversent un jour. Mais dans l’immédiat, c’est de trésorerie dont les associations ont le plus besoin pour poursuivre leurs activités et pérenniser leurs emplois.
Grande loi ou pas, il est donc incontestable que des changements importants se dessinent à l’horizon de la fin 2013. Ces changements devraient profondément et durablement modifier l’environnement juridique des associations et le rôle que ces dernières seront appelées à jouer dans les prochaines années dans l’élaboration du dialogue civil.

La nouvelle charte des engagements réciproques entre l’Etat, les collectivités territoriales et les associations : l’émergence de la démocratie participative en France ?
Parmi les annonces faites par la Ministre Valérie Fourneyron, celle relative à l’élaboration d’une nouvelle Charte des engagements réciproques pour « refonder un véritable pacte de confiance » avec le secteur associatif apparaît tout à fait essentiel. Ce travail interministériel réalisé de concert avec la CPCA a consisté à réactualiser la Charte de 2001 impulsée sous Lionel Jospin et « laissée en jachère par les précédents gouvernements ». Principale innovation avancée par la Ministre, il s’agira désormais d’une charte tripartite entre l’Etat et les associations, d’une part, et d’autre part les collectivités territoriales. Pour la Ministre, « ce texte ne doit pas être seulement un symbole ou une déclaration de belles intentions. Il doit être l’occasion de mettre en œuvre des principes partagés pour une construction commune de l’intérêt général ».
Pour l’Etat, l’engagement pris consistera à reconnaître de manière effective la possibilité pour les citoyens et leurs représentations associatives de « participer à la construction des politiques publiques ». Pour les collectivités territoriales, il s’agira notamment d’accorder les moyens, principalement financiers, aux réseaux et fédérations qui structurent la vie associative pour que ceux-ci puissent « être plus efficaces au service de l’intérêt général ». En contrepartie, les associations devront s’engager à « respecter les règles de bonne gouvernance, en étant ouvertes à tous sans discrimination, en faisant valoir les principes de parité, notamment dans la composition des instances dirigeantes ».
Certes, cette déclaration d’intentions ne comporte aucun caractère contraignant et « n’est pas inscrite dans la norme juridique ». Elle a pour objectif de créer « une forme d’engagements partagés » avec « l’ensemble des associations, sans distinction de secteur, de taille ou d’activité, et en particulier les associations qui n’exercent pas d’activité économique ». Un travail d’évaluation est toutefois prévu au niveau national pour faire un point périodique sur les réalisations concrètes découlant de cette nouvelle Charte.
En conclusion, la nouvelle Charte affirme solennellement que « les associations sont des corps intermédiaires nécessaires au bon fonctionnement de l’Etat ». Incontestablement, il s’agit là d’une déclaration politique forte. Notre démocratie s’apprête ainsi à franchir un cap : la peur des corps intermédiaires, qui a façonné la loi 1901[17] et d’une manière générale notre rapport à la représentation collective, est sur le point d’être dépassée. Pour preuve, la référence dans les toutes dernières lignes de Charte à Emile Durkheim qui en 1893 affirmait : « Une nation ne peut se maintenir seulement si entre l’Etat et les individus est intercalée une série de groupes intermédiaires assez proches des individus pour les attirer fortement dans la sphère de l’action et les entraîner sur cette voie dans le cours général de la vie sociale ».

Transposition du droit communautaire des aides d’Etat : De la possibilité pour la France de faire déjouer l’Europe libérale ?
Toujours d’après la Ministre, il conviendra de finaliser prochainement le travail de réécriture de la circulaire « Fillon » du 18 janvier 2010 conformément aux engagements pris François Hollande pendant la campagne présidentielle. Pour notre part, nous ne pouvons que nous en féliciter eu égard à nos précédentes prises de position sur cette question. Nous avons finalement été entendus après des mois de dénonciation des effets potentiellement néfastes de ce texte.
Il s’agira donc de tenir compte des évolutions introduites en 2011 – 2012 par le « Paquet Almunia » en prenant en considération les conséquences directes de ces normes européennes sur le financement public des associations[18]. Mais aussi et surtout d’utiliser les possibilités offertes aux Etats membres du l’UE[19] afin de ne pas aboutir à une application trop restrictive du droit communautaire. Ainsi, la procédure de mandatement permettant aux associations [à caractère économique d’intérêt général] de bénéficier de financements publics devrait être précisée en tenant compte du principe de subsidiarité offert par l’Europe, précisions qui pourraient parfaitement figurer dans la prochaine loi d’ESS.
Il s’agira également d’intégrer d’ici fin 2013 les modifications apportées par la nouvelle directive sur les marchés publics.
Enfin, les discussions devront se poursuivre pour identifier très clairement ce qui relève du domaine de la concurrence et les secteurs qui doivent absolument en être préservés (activités non économiques et services non économiques d’intérêt général)[20]. Pour ensuite, intégrer ces notions dans notre système juridique national, lequel s’organise encore à l’heure actuelle autour des concepts vieillissant d’activité civile et commerciale[21].
A terme, c’est donc une bonne partie de notre ordre juridique interne qui devrait très certainement être modifié par l’intégration de ces nouveaux opérateurs économiques[22]. On le voit, il reste donc « du pain sur la planche ».

2013 devrait être une année de transition importante pour les associations !

Colas AMBLARD, Directeur des publications
 
 
 
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Notes:

[1] Ministre des Sports, de la Jeunesse, de l’Education populaire et de la Vie associative

[2] V. Tchernonog, « Le paysage associatif français  2011-2012 » (à paraître courant octobre 2013)
[3] Collectif des associations citoyennes (www.associations-citoyennes.net/)
[4] Soit 5.362.000 bénéficiaires de l’exonération d’IR et 25 130 bénéficiaires de l’exonération d’IS.
[5] Rapport IGF, « Pour des aides simples et efficaces au service de la compétitivité », N° 2013-M-016-02, juin 2013
[6] G. Fack et C. Landais, « Les incitations fiscales aux dons sont-elles efficaces ? » in Economie et Statistique n°427-428
[7] CPCA, Communiqué de presse du 22 juillet 2013
[8] Chaque année, plus de 65.000 associations voient le jour
[9] Etude IFOP réalisée pour France Bénévolat, 2013
[10] Source : France Générosités, note technique « Évolution des dons des particuliers aux grandes associations et fondations en 2012 », 20 juin 2013 : L’observatoire France Générosités a relevé une croissance de 1,7 % des dons aux grandes associations et fondations en 2012 par rapport à 2011
[11] B. Hamon, « L’ESS peut concilier gouvernance démocratique, utilité sociale et performance économique », interview exclusive, La gazette.fr, 26 avril 2013
[12] Projet de loi d’ESS du 24 juillet 2013
[13] C. Amblard « Loi d’Economie sociale et solidaire : quel intérêt pour les associations ? », Associations Mode d’emploi, septembre 2013, n°151 (à paraître)
[14] C. Amblard, « Economie sociale et solidaire : présentation de l’avant-projet de loi », Juris-associations, 15 mai 2013, n°479 p. 6 ; du même auteur, « Economie sociale et solidaire : le projet de loi se précise », Juris-associations, 15 juin 2013, n°481, p.6
[15] Voir notamment B. Clavagnier, Juris-associations, 15 juin 2013, n°481, p.3
[16] Lors du colloque « Associations subventions collectivités : mode d’emploi » du 27 juin 2013, Y. Ackermann, Président du Conseil général du Territoire de Belfort, a tenu a précisé que 40% des départements ne boucleront pas leur budget en 2014 ; cette information est à rapprocher des données de V. Tchernonog (préc.) selon laquelle « les dernières années ont enregistré (…) une montée en charge importante des conseils généraux » dans le financement des associations.
[17] C. Amblard, « Cent ans de pratique associative : un point de vue juridique », Recma 2001 n°282 (1ère partie) et 2002, n°283 (2ème partie) ; voir également J.-F. Merlet Une Grande Loi De La Troisième République : La Loi du 1er Juillet 1901, LGDJ, 2001
[18] C. Amblard, « Paquet Almunia : Les nouvelles règles européennes de financement des SIEG », Lamy Associations, bulletin d’actualités, n°205, juin2012
[19] En application du principe de subsidiarité (Traité de l’Union européenne, art. 1 ; art. 5 TCE) : Le principe de subsidiarité consiste à réserver uniquement à l’échelon supérieurici la Communauté européenne (CE), ce que l’échelon inférieur, les États membres de la CE, ne pourrait effectuer que de manière moins efficace.
[20] C. Amblard, « Paquet Almunia : la nouvelle donne européenne (Analyse critique) »Juris-Associations (Dalloz), n°454, 1er mars 2012, pp. 35 à 38
[21] C. Amblard, « Activités économiques et commerciales des associations : contribution à la théorie du Tiers-secteur », Thèse de droit, 1998
[22] A ce stade, il est utile de préciser que les associations à caractère économique sont le plus souvent civiles par la forme et commerciales au titre des activités qu’elles exercent

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